Tribune

France Musique : y a de l’eau dans le jazz !

A la rentrée, ce qui attend France Musique, ce sont des réductions de moyens drastiques et une uniformisation du contenu.


Photo : Christian Taillemite

Après la grève historique à Radio France contre les différents plans de restructuration et la cacophonie qui s’en est suivie, Radio France n’en finit pas de vivre dans l’incertitude concernant les arbitrages à venir.

Parmi les chaînes de Radio France, France Musique, dont la suppression pure et simple avait été évoquée le 7 janvier 2015, est doublement visée.

D’une part en tant que chaîne du groupe : à ce titre, elle n’échappe pas à l’imbécile idéologie de la rentabilité appliquée à la culture, à la connaissance, à la création et au savoir.

D’autre part, en tant que chaîne musicale.

Pour bien comprendre le problème, il faut savoir qu’il y a une Direction de la Musique pour l’ensemble de Radio France (qui s’occupe de l’Orchestre national de France, de l’Orchestre philharmonique de Radio France, du Chœur et de la Maîtrise de Radio France, de la production de musique de chambre, la création, la saison des concerts de Radio France et des festivals associés et du bureau du jazz) et une Direction de France Musique.

Ça ne facilite pas les choses.

Pire encore, France Musique a vocation à diffuser en grande partie de la musique classique et contemporaine, du jazz, des musiques improvisées, des musiques du monde… Bref, des musiques aux audiences réservées, absentes de la plupart des autres médias et donc considérées à tort comme « non visibles » ou « non rentables ».

Pourtant, si l’on prend seulement la carte récente des festivals de musiques en France (publiée par l’IRMA), on s’aperçoit que c’est justement le contraire.

Mais passons, on ne parle pas d’argent, ça n’intéresse personne.

À ce jour, 15 mai 2015, quelles sont les échéances pour France Musique ?

Tout d’abord, très peu d’informations filtrent de la Maison ronde. Aucun chiffre précis sur la diminution des budgets, aucune information sur la teneur de la grille de rentrée, ni sur les changements d’organigramme.

A en croire Le Monde du 6 mai, il va pourtant y avoir une valse (hésitation, sans doute).

C’est en interrogeant plusieurs personnes concernées (salariés, producteurs…) qu’on peut dresser un portrait incertain de la chaîne musicale pour cet été et pour la rentrée.

Nous sommes particulièrement attentifs à la place du jazz à France Musique, aussi c’est essentiellement ce sujet qui sera abordé dans cet article.

Après le licenciement de Xavier Prévost et la fin historique du Bureau du Jazz, celui-ci était censé survivre dans une configuration réduite sous la responsabilité d’Arnaud Merlin. Mais, à ce jour, le budget proposé par la Direction de la musique (en baisse d’environ 20%) ne permet pas un fonctionnement en rapport avec ses objectifs.
On peut dire, si cela se confirme, que le Bureau du Jazz est mort et enterré.

Autre information : la direction souhaite recentrer France Musique sur le « classique ». Mais sur quoi d’autre est centrée France Musique à l’heure actuelle ?

On assiste depuis des années à la diminution de plus en plus nette de la part du jazz, des musiques du monde et toutes les autres musiques et on parle de recentrer la chaîne sur le classique ? Et parmi les arguments avancés, celui d’une offre éditoriale bien identifiée, seule garantie de trouver un public. Avec comme corollaire que la diversité rendrait inaudible et/ou illisible l’identité d’une chaîne…

On en tremble d’avance.

Heureusement qu’on parle de musique. Ce genre de discours ne passerait pas, appliqué à d’autres domaines.

Donc, en résumé, le nouveau projet de grille propose : du classique en semaine et le reste le week-end. A charge pour les autres chaînes du groupe de se répartir la diversité. France Musique deviendrait donc France Musique Classique et le jazz serait saupoudré entre Inter, Culture, Fip, Info, etc.

Mais c’est déjà le cas !

Partir du postulat que pour toucher un public plus large il faut uniformiser la grille est d’une imbécillité sans borne. Si l’on appliquait le raisonnement à Citizen Jazz, il faudrait, pour toucher un lectorat plus large qu’on recentre notre ligne éditoriale uniquement sur le be-bop (au hasard) ! L’exemple est parlant, non ?

Concernant les émissions du soir et les émissions enregistrées en public, qui font actuellement l’objet de vives inquiétudes de la part des producteurs, il est prévu que les soirées (à partir de 22h30) en semaine soient confiées à un seul et unique producteur, pour un répertoire classique : économie et uniformité.

Si cela se confirme, cela signifie la fin du Jazz Club d’Yvan Amar (le vendredi soir), émission précieuse qui sillonne les clubs et capte des instants uniques. Quant aux émissions actuellement programmées le week-end (A l’improviste, All that Jazz et On ne badine pas avec le jazz), nul ce sait ce qu’il en adviendrait. Les producteurs sont convoqués fin mai pour des entretiens individuels ; ils découvriront alors le sort réservé à leurs émissions. Seule Open Jazz d’Alex Dutilh, semble épargnée par cette réorganisation, pour l’instant.

Les grilles sont arrêtées par la direction pour cet été et la rentrée, mais on n’en connaît pas le contenu. Seule certitude, le budget de la grille d’été est en baisse de 25% ce qui entraîne la fin des nouvelles émissions d’été, remplacées par des rediffusions, sans plus de précisions.

Mais ces réductions ne s’arrêtent pas là.

A la rentrée, ce qui attend France Musique, une chaîne du groupe Radio France, ce sont des réductions de moyens telles que sa mission - de service public, d’intérêt général - de découverte et d’information de la musique sera réduite au strict minimum : passer des disques.

Ensuite, économies obligent, il faudrait diminuer le nombre d’émissions, de producteurs. Moins de pédagogie, d’information, de découverte… Et, bien sûr, un plan de départs volontaires est proposé aux techniciens de studio (avant d’envisager un plan social).

Les grands studios réservés aux émissions matinales et publiques ne seront plus disponibles, il faudra se contenter de petits studios, moins coûteux. Les enregistrements hors les murs seront limités le plus possible, sous réserve de trouver des accords financiers, des partenariats pour que cela ne coûte rien à France Musique. Les musiciens devront-ils renoncer à leur juste rémunération ? Les salles de concert devront-elles payer pour accueillir les équipes techniques de France Musique ?

Le projet d’une version Web améliorée de France Musique est toujours dans les tuyaux. Cela permettrait, comme on cache la poussière sous le tapis, d’y proposer des contenus pédagogiques, des émissions thématiques, la fameuse diversité (jazz, etc.). Mais aucun moyen financier n’a été affecté à ce projet de plate-forme numérique.

Voilà, à l’heure actuelle, ce qui attend France Musique (et probablement les autres chaînes) et qui semble confirmer la disparition progressive du jazz et des musiques connexes sur cette chaîne.

Malheureusement, tous les discours sur la mission de cette radio, notamment pour la découverte et le soutien du jazz et des musiques improvisées, sont sans effet sur des décideurs, qui ne regardent que l’aspect économique et financier ou qui, dans le pire des cas, s’en fichent cyniquement.

Et toutes les promesses n’ont pas été tenues…

par Matthieu Jouan // Publié le 15 mai 2015
P.-S. :

Mise à jour : 19 mai 2015.
Jean-Pierre Rousseau, quitte ses fonctions de Directeur de la Musique de Radio France.
(Source : France Musique)


Mise à jour 10 juillet 2015 :

Marc Voinchet est nommé directeur de France Musique en remplacement de Marie-Pierre De Surville.

GRILLE DE FRANCE MUSIQUE RENTRÉE SEPTEMBRE 2015
JAZZ ET MUSIQUES VOISINES

Sous réserve de dernières modifications, voici les informations communiquées à ce jour par les producteurs :
Les émissions supprimées à la rentrée :

  • All that Jazz d’Arnaud Merlin (le samedi de 17h à 18h).
  • On ne badine pas avec le jazz de Patrice Bertin et Jérôme Badini (le dimanche de 10 à 11h).
  • Un Dimanche idéal d’Arièle Butaux, qui participait à l’exposition des musiciens de jazz (entre autres), le dimanche de 22h à 23h30.

Les émissions reconduites aux mêmes horaires :

  • Open Jazz d’Alex Dutilh, du lundi au vendredi de 18h à 19h. - Le Jazz Club d’Yvan Amar, le vendredi de 22h30 à minuit.
  • A l’improviste d’Anne Montaron, le samedi de 23h à minuit.

Les nouvelles émissions dédiées :

  • Présentés par Jérôme Badini, Les Mercredis du Jazz, le mercredi de 20h à 22h30, seront réservés à la retransmission des concerts de Jazz sur le Vif, de la Philharmonie de Paris, de l’UER, et des festivals et scènes partenaires.
  • Nathalie Piolé, transfuge de TSF et de France Inter, animera l’émission de jazz du dimanche de 10h30 à midi.