Scènes

Chet’s Vision à la Maison de la Musique

Hommage à Chet Baker par Riccardo Del Fra, avec la présence inattendue de Tony Malaby.


Le 25 janvier, la Maison de la Musique de Nanterre accueillait un hommage à Chet Baker initié par Riccardo Del Fra. L’actuel responsable de la classe de jazz du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris profitait ainsi du partenariat pluriannuel entre l’institution de la Villette et celle de Nanterre pour se présenter à la tête d’un groupe au line-up luxueux, tout en mettant en avant, en première partie, une jeune formation issue du CNSMDP.

Le Stephan Caracci/Alexis Pivot Quintet est, comme son nom l’indique, un groupe à deux têtes vibraphone/piano. Caracci, vibra, s’est déjà distingué, notamment aux côtés de Raphaël Imbert au sein du Newtopia Project, ou lors des derniers Concours de jazz de La Défense. Pivot, pianiste, est jusqu’ici resté plus discret, même si le groupe a déjà fait la première partie de Wayne Shorter lors du dernier Festival de La Villette.

Le quintet, complété par Quentin Ghomari à la trompette, Joan Eche-Puig à la contrebasse et Elie Durie à la batterie, a joué quatre compositions originales dont s’échappaient de belles idées et des passages enthousiasmants mais sans réel lien entre eux, comme s’il manquait des éléments d’articulation pour relier ces éléments disparates et tenir un discours unifié. La constatation vaut autant au sein des morceaux qu’entre les membres du groupe. Les enchaînements sont souvent brutaux, comme dans une course de relais pas très bien huilée. Reste néanmoins un intéressant travail sur la complémentarité des sonorités du piano et du vibraphone, instruments rarement associés, et quelques passages à l’énergie quasi pop qui faisaient décoller les morceaux.

Après l’entracte, l’hommage de Riccardo Del Fra à Chet Baker, disparu il y a vingt ans, débute par la diffusion d’un court-métrage de Bertrand Fèvre, Chet’s romance, César du meilleur court-métrage documentaire 1989. On y voit, en noir et blanc teinté de vert cuivre, Chet descendre les marches d’un studio d’enregistrement, allumer une cigarette, inspecter sa trompette, et enfin s’installer aux côtés d’Alain Jean-Marie, Riccardo Del Fra et George Brown pour interpréter « I’m A Fool To You ». Et c’est finalement à certains détails d’apparence anodine – la cigarette – que l’on se rend vraiment compte du temps qui a passé…

A la fin de la projection, le contrebassiste romain rejoint la scène accompagné par Bruno Ruder au piano, Simon Goubert à la batterie et Stéphane Belmondo à la trompette. Quelques secondes se passent avant que Tony Malaby, son ténor dans les bras, ne les rejoigne. Sans faire injure aux autres, la présence du colosse de Tucson, Arizona dans ce contexte intrigue. Même si, bien entendu, l’on se réjouit avant tout de le voir de plus en plus fréquemment aux côtés de musiciens français ou assimilés (Portal, Humair…).

Dans ce contexte plus in que out, Malaby joue le jeu. Mais ne se prive pas d’instiller, au cours de ses solos, un peu de cette beauté fragile de l’entre-deux mondes qu’il a su si bien développer sur l’instrument. Comme si la puissance de son souffle était toujours le signe d’une rupture possible mais maîtrisée, au point de contact de la suavité et de la véhémence. Le répertoire choisi par Del Fra est assez divers pour rendre bien vivant le prétexte de l’hommage : les standards de Cole Porter (« Love For Sale ») ou Jerome Kern (« I’m old fashioned ») côtoient les compositions du contrebassiste ou d’icônes du jazz moderne : (« Beatrice » de Sam Rivers, beau moment. Le groupe est efficace, notamment dans les passages a tutti, souvent plus passionnants que les solos obligatoires des uns et des autres, avec un indéniable petit plus apporté par Malaby. Finalement, c’est par la fragilité qu’il introduit dans son jeu - sans jamais chercher à coller à l’univers de Chet -, qu’il rend un véritable hommage au trompettiste disparu.