Chronique

Jean-Jacques Birgé

Animal Opéra

Jean-Jacques Birgé (elec, fx, objets).

Label / Distribution : GRRR

Il faut se replacer dans le contexte de 2006 et des débuts des réseaux sociaux pour bien comprendre ce que fut, pour les amateurs de musiques créatives le Nabaz’mob, cet opéra de 100 lapins connectés qui, par un système particulièrement créatif (entendre ingénieux, malin et bricoleur), construisait une musique - et une scénographie - absolument envoûtante. Beaucoup à l’époque partageaient les vidéos comme une promesse d’ère nouvelle et d’un certain goût pour le Kawai [1] sans savoir que derrière cette performance, il y avait Jean-Jacques Birgé. Naturellement, diront ceux qui suivent le travail sonore de l’artiste et sa passion pour quelques noms qu’évoquent cet Animal Opéra : Nancarrow, La Monte Young, Zappa ; le lapin Nabaz’tag est un synclavier comme un autre.

2024, les choses ont changé : Twitter est devenu un cloaque où des nazis discutent des paniques morales à la mode avec des anciens de 1968 frustrés de n’avoir plus la force de tout casser pour leur petite jouissance personnelle. Les serveurs des lapins sont devenus des bricolages souterrains. Jean-Jacques Birgé, lui, n’a pas changé de cap, et c’est avec plaisir qu’on le retrouve dans cette projection des cent lapins dans la forêt amazonienne. Car entre les deux enregistrements de 2009 et 2010, Birgé nous propose un saisissant travail de field recording saisi pendant un voyage au Pérou. Des animaux électriques chantant ensemble de longues notes proches du bourdon ou des grands airs d’opéra avortés, capables de faire rêver n’importe quel androïde, on passe sans transition à des animaux de chair dans une contrée sauvage. « L’Aube à Shimiyacu » est de ces morceaux où l’on s’abandonne, Birgé conservant néanmoins le contrôle pour garder quelques lignes directrices et nous éloigner vite des rayons de Nature & Découvertes pour aller vers une divagation. Tellement plus utiles que les relaxations tarifées.

L’intention de Jean-Jacques Birgé est subtile et, pour tout dire, philosophique. Animal Opéra interroge notre monde et la place de l’imprévu, de l’état de nature, et - du fait de la non-intervention de l’homme - du rôle de l’anthropocène. Il n’y a pas d’intervention de musiciens dans ce concert de la Nature. Il n’y en a pas davantage dans les discussions entre lapins, même si le travail en amont est le garant de cette condition. On y verra, tout au long de l’album, un grand éloge de la Liberté collective.

par Franpi Barriaux // Publié le 16 février 2025
P.-S. :

[1La culture japonaise des choses mignonnes, qui a une forte influence sur l’art graphique, NDLR.