Chronique

Jean Marc Foltz & Philippe Mouratoglou

Legends Of The Fall

Jean-Marc Foltz (cl, bcl), Philippe Mouratoglou (g) + Ramon Lopez (dms, guest)

Label / Distribution : Vision Fugitive

Jean-Marc Foltz et Philippe Mouratoglou ont en commun les grands espaces, les longues plaines éreintées de soleil, telles qu’on les perçoit sur « Solar Wind », entre guitare qui vibre au moindre geste et clarinette basse ronde et chaleureuse. Ce morceau inaugural de Legends Of The Fall, leur nouvel album sur Vision Fugitive, le label qu’ils animent tous deux avec le graphiste Philippe Ghielmetti, dépayse immédiatement le propos quelque part dans le sud des États-Unis, non loin du blues qui nourrissait Steady Rollin’ Man, mais sans volonté de dresser un portrait. L’album tire son nom d’un recueil de Jim Harrison, et la musique s’en trouve teintée. À mesure que les titres s’égrainent avec la langueur d’une terre desséchée et pourtant encore fertile, c’est plutôt à d’immenses paysages impressionnistes que nous avons affaire, à l’instar des tintements lointains de « Mountain Ghosts », aussi mélodieux qu’un vent qui souffle en bourrasques.

Mais en réalité, le décor est loin d’être la seule chose qui unit les musiciens. Nourris de musique savante européenne, du baroque au contemporain, fins connaisseurs de l’histoire africaine-américaine depuis ses origines, le duo opte pour un syncrétisme qui trouve dans « Cold Blue 44 » une forme d’aboutissement. La guitare, jouée délibérément en open-tuning sur des cordes en métal, a des allures de slide ; néanmoins le silence et le flegme qui entoure chaque geste, chaque mouvement pesé par la clarinette confère à la musique une aura de solennité, soulignée par le batteur Ramon Lopez venu sur quelques titres ajouter du relief, comme on ombre un crayonné. Ce triangle, même fugace, laisse espérer d’autres expériences, tant il est complémentaire.

Dans la discographie de Foltz, on a déjà découvert un portrait halluciné de Billie Holiday ou une ode à la Lune avec le violoncelliste Matt Turner. On ne serait pas surpris si ce dernier débarquait dans un tel univers, lui qui connaît si bien l’Amérique des pionniers : Legends Of The Fall est un fantasme esthétisé des paysages chers à Harrison, mais qui s’épargnerait tous les clichés et autres envolées lyriques. « Scorpion’s Brush » sent la cendre et le temps qui passe, mais avant tout, il en découle un sentiment de liberté qui irradie l’album. Un objet magnifique, tant grâce au son qu’à l’image : la pochette peinte par Emmanuel Guilbert correspond aux impressions générées par les duettistes.