Chronique

Emmanuel Guibert

La Musique d’Alan

Bill Carrothers (p), Peg Carrothers (vx), Jean-Marc Foltz (cl), Philippe Mouratouglou (g), Stephan Oliva (p), Matt Turner (cello), Alan Ingram Cope (vx), Emmanuel Guibert (vx)

Label / Distribution : Vision Fugitive

Trois tomes constituent la série de bande dessinée qu’Emmanuel Guibert a consacré à son ami Alan Ingram Cope. La Guerre d’Alan, L’enfance d’Alan, Martha & Alan présentent les souvenirs de cet Américain et nous plongent dans les États-Unis des années 30 puis en France durant la Seconde Guerre Mondiale, suite à sa mobilisation ; il finira par s’y installer.

La musique d’Alan complète ce travail et apporte une dimension musicale au portrait composite de cet homme. Chaque titre, en effet, est signé par les différents intervenants et s’inspire d’un des chapitres des livres. En dépit de ces disparités, le tout sonne avec une véritable cohérence. De disque en disque, ensemble ou séparément, les musiciens du label Vision Fugitive où Emmanuel Guibert officie aux illustrations forment, en effet, une communauté étroite et unie qui parvient, sans le chercher particulièrement, à définir une esthétique propre.

On retrouve le goût de Bill et Peg Carrothers pour l’entièreté de la culture musicale américaine du XXème siècle, des chansons populaires à la musique classique en passant bien évidemment par le jazz. Depuis au moins Armistice 1918, resté dans les mémoires, on sait que le pianiste se meut dans un univers à la fois fantasmatique et politique dans lequel il retraverse les tragédies que son pays a rencontrées. Soutenu par la voix diaphane de sa compagne et le violoncelle noble de leur ami Matt Turner, il propose une musique profonde et mélancolique dont les climats en clair-obscur délicieusement surannés invitent à la rêverie et à une nostalgie en état de grâce. Les chœurs fragiles ajoutent une authenticité supplémentaire à ces interprétations.

De leur côté Jean-Marc Foltz, Stephan Oliva et Philippe Mouratoglou axent leur approche sur des couleurs plus classiques qui n’empêchent pas quelques incursions maîtrisées dans l’univers de l’improvisation. Le propos plein et équilibré, retenu et élégant, contient lui aussi sa dose de mélancolie tout en jouant sur une expressivité rentrée fortement évocatoire. On ne sait dès lors, de la musique ou des dessins, qui illustre quoi. La force d’un travail réussi est certainement de ne plus pouvoir le limiter à un seul de ses éléments.