Chronique

Rodrigo Amado

A History of Nothing

Rodrigo Amado (ts), Joe McPhee (as, tp), Kent Kessler (b), Chris Corsano (dms)

Label / Distribution : Trost Records

C’est notre langage ! Voilà ce que serinait, un poil bravache, le dernier album de ce quartet guidé, plus que mené, par le saxophoniste lusitanien Rodrigo Amado. C’est leur langage, évidemment, et un peu le nôtre aussi, si bien qu’on s’apprête à s’y immerger avec une certaine excitation que tempère le départ tout doux de « Legacies ». Dans ce morceau court, le saxophone montre une patte de velours à la contrebasse de Kent Kessler, chaleureux en diable. Ce sont les braises qui chauffent avant l’incandescence ; avec « A History of Nothing », qui donne son titre à l’album, on retrouve le combat familier de la pulsion de vie. Le ténor d’Amado, redevenu anguleux et direct, croise le soprano explosif de Joe McPhee. Les deux soufflants avaient déjà posé les bases d’hybridations complexes dans le premier volet de ce quartet. Ici, sans avoir besoin de chercher plus loin des raisons à la rencontre, ils convoquent une étincelle qui n’en finit pas de créer des réactions en chaîne.

Premier touché par la combustion, le batteur Chris Corsano n’attendait que cela. Des années passées à rythmer la free music et le rock expérimental lui ont appris à frapper dru, ce qu’il ne manque pas de faire, créant des effets de blast. Ainsi, sur « Wild Flowers », alors que McPhee débute le morceau dans un souffle de trompette, faible filet de vie d’une fleur en train d’éclore, corseté par la rocaille de la contrebasse, ce sont les fûts de Corsano qui accélèrent le mouvement, donnent de l’ampleur, forcent les couleurs à se contraster à l’extrême et nourrit suffisamment la terre pour qu’elle ne fane jamais.

Enregistré en studio à Lisbonne en mars 2017, A History of Nothing s’offre le temps de l’urgence. Paru sur le label autrichien Trost, il scelle une amitié et une complicité profonde entre quatre musiciens qui ont décidé d’unir leurs diverses expériences. Il y a le feu, c’est vrai, mais les escarbilles sont suffisamment rougeoyantes pour garder la chaleur sans nécessité de rôtir. « The Hidden Desert », en toute fin d’album, en est une illustration qui répond parfaitement au premier morceau, comme un palindrome. Un souffle quiet et sûr de lui qui naît de l’infiniment petit, de la tension fructueuse de McPhee pour tendre vers la chaleur du ténor caressé par une alliance basse/batterie sans heurts particuliers : le battement d’aile du papillon dans la théorie du chaos.

par Franpi Barriaux // Publié le 28 octobre 2018
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