Scènes

Vue d’Ensembles à la Philharmonie

Après plusieurs épisodes en province, c’est à la Philharmonie de Paris que La Fédération Grands Formats tenait son rendez-vous annuel pour une Vue d’Ensembles des plus capitale.


Chaque année, la rentrée de la Fédération Grands Formats marque un temps fort de la saison pour le jazz hexagonal. Moment de rencontre et d’échange, c’est aussi l’occasion de réunir sur scène deux grands orchestres adhérents. Après plusieurs épisodes en province, c’est à la Philharmonie de Paris qu’elle tenait son rendez-vous annuel pour une Vue d’Ensembles éminemment… capitale.

Ping Machine © F. Barriaux

« Qui peut bien être assez fou pour monter aujourd’hui de grands orchestres de jazz ? » Cette remarque semi-humoristique entendue au détour d’une travée de l’ex-Cité de la Musique est une question qui revient d’une année sur l’autre lors des événements de Grands Formats. Comment faire vivre un grand orchestre en période de crise et de ladrerie érigée en mode de fonctionnement par les mécènes, qu’ils soient privés ou publics ? Pourtant les chiffres sont là : le nombre d’orchestres de plus de huit musiciens adhérents à la Fédération est en constante augmentation. Ils sont désormais trente-huit.

Comme toujours, un débat inaugure la journée du 21 février, qui s’est transformée pour l’occasion en week-end entier, avec le lendemain dans l’après-midi la nouvelle création de Denis Charolles, ouverte au jeune public avec L’enfant et les sortilèges, libre adaptation de l’œuvre de Maurice Ravel. La Philharmonie de Paris, symbole de la volonté publique d’offrir un lieu de prestige à la musique orchestrale, accueille aussi le jazz. Le message est d’importance, même tout cela a lieu en fait dans les anciens locaux de la Cité de la Musique, rebaptisée « Philharmonie 2 ». Après plusieurs années d’échanges sur les relations nécessaires et parfois tumultueuses entre les orchestres de Grands Formats et les Collectivités territoriales, il s’agissait cette fois, de manière plus générale, de « Jouer en grands formats aujourd’hui ». Pour évoquer la question étaient conviés non seulement des représentants du jazz (Fred Maurin, guitariste chef d’orchestre de Ping Machine et l’inénarrable Patrice Caratini), mais aussi des chefs venant du classique tels David Grimal (« Les Dissonances ») ou François-Xavier Roth (qui dirige « Les Siècles », mais est aussi directeur de l’Opéra de Cologne). Un constat : même si les conditions économiques ont changé et tendent vers une mutualisation de la pénurie, l’aventure reste la même. C’est avant tout question de relations humaines ou, comme le dit non sans humour David Grimal, une mise en danger de gens consentants qui y prennent beaucoup de plaisir... Pour Caratini qui se lance dans une très intéressante mise en perspective historique, l’orchestre est toujours une représentation symbolique du pouvoir. Attention cependant, comme le rappelle Grimal : la musique, c’est comme les abeilles : quand il n’y en aura plus, nul ne sait ce qu’il adviendra...

Ping Machine © F. Barriaux

Alors butinons tant qu’il est temps. Dans la belle salle en quinconce de la « Philharmonie 2 », Ping Machine se dresse pour jouer les suites de son album Encore ainsi qu’une nouvelle pièce. Entouré de ses deux rangées de soufflants, Fred Maurin s’efforce de dompter l’espace via l’habituelle puissance de son orchestre. Même s’il se perd parfois dans les hauteurs de la salle, le propos est toujours d’une rare efficacité. On passe avec beaucoup de fluidité d’un remarquable solo du saxophoniste Guillaume Christophel à la passementerie très étudiée des trompettes et des trombones ; le relais est transmis par le guitariste, que l’on sent concentré sur la direction ce soir-là, puis vient le tour des échanges, très précieux, entre le pianiste Paul Lay et Stephan Caracci au vibraphone. Ces trois-là sont les co-architectes d’une musique en perpétuelle évolution qui ne sacrifie pas la force du collectif aux tentations solistes.

A. Minvielle, J. Mienniel © F. Barriaux

Ping Machine laisse ensuite la place à Jean-Marie Machado et son ensemble Danzas pour une Fête à Boby (Lapointe) cuivrée et guillerette. Le batteur François Merville et le vibraphoniste Jean-Marc Quillet semblent aussi en forme que le chanteur André Minvielle. La bonne humeur circule d’autant mieux que l’orchestre est désormais en terrain connu avec les textes de Boby, même si Minvielle revendique encore les erreurs possibles, paroles sous le nez et bonnet d’âne sur la tête. Les éclats de rire s’intègrent à merveille aux arrangements luxueux de Machado. Cette promenade amoureuse chez l’inventeur de la guitare sommaire en ces lieux philharmoniques confirme qu’avant tout, qu’elle soit populaire, d’avant-garde ou plus institutionnelle, la dynamique d’orchestre est indispensable au paysage culturel. Les rencontres annuelles de Grands Formats en sont une douce piqûre de rappel.