Chronique

Jef Neve Trio

Soul In A Picture

Jef Neve (p), Piet Verbist (b), Teun Verbruggen (dm), Jan Verschoren (electr), Piet van Bockstal (oboe), Vera Van Eyndhoven (fl), Erwin Scheltjens (cl)

Label / Distribution : Universal

Avec Soul In A Picture, Jef Neve, coqueluche du public belge, signe son quatrième album [1]. Pour l’occasion, le pianiste a ajouté un « bonus CD » de six titres, Replay Silence, où il improvise et expérimente sur des musiques électroniques, bruitistes, voire tachistes… qui n’est pas le moins intéressant des deux. Il faut dire qu’on commence à connaître la recette du trio et que, malgré un toucher magnifique et un sens aigu de la dramaturgie, Neve a parfois tendance à recourir aux mêmes artifices, et donc à nous surprendre un peu moins. Cela dit, Soul In A Picture recèle quand même de très beaux moments et l’on y retrouve ses envies de marier la musique classique (plutôt romantique) au jazz. Le résultat manque parfois d’originalité (« Sehnsucht », une ballade classico-jazz-pop un peu passe-partout). En revanche, il faut reconnaître que la formule fonctionne plutôt bien sur « Für Lize ».

Heureusement Neve excelle à malaxer un morceau, lui donner de la tension, faire monter la pression - certes au prix de quelques longueurs - pour parvenir à un dénouement salutaire. « Lay Down » est, en ce sens, une belle réussite. Le pianiste semble donner à chaque fois un tour de vis supplémentaire pour étouffer un thème qui démarre pourtant de manière légère, fraîche et insouciante. Avec lui, Piet Verbist (b) et Teun Verbruggen (dm) s’obstinent à alourdir encore l’embarcation, l’enfoncer au maximum, voire l’empêcher de remonter trop vite à la surface. Mais lorsqu’on arrive au terme, les notes éclatent comme mille bulles d’oxygène et c’est la délivrance. Les neuf minutes mises à profit pour développer, déployer le sujet sont ici parfaitement justifiées, ce qui n’est peut-être pas le cas du morceau-titre, « Soul In A Picture » (près de treize minutes), par trop maniériste. Car ce qu’on aime dans ce trio c’est non seulement la connivence et le sens de l’improvisation sur des motifs répétitifs, mais aussi les changements de tempo incessants, débarrassés d’ornements excessifs, comme sur le très inspiré « A Waterfall Never Comes Alone ». On adhère aussi quand le pianiste distribue les notes avec intelligence et économie (« Lacrimosa ») ou les fait résonner de façon résolument jazz (« How Blue Can I Get ? »). Bref, on préfère quand le trio va à l’essentiel.

Mais le deuxième CD, que contient-il ? Il s’agit en fait d’une longue suite d’improvisations où le groupe se laisse aller au gré des sons, ne se refuse rien et démontre sa faculté d’inventer dans l’instant un univers personnel. Pour ce faire, il s’appuie sur les atmosphères distillées par Jan Verschoren. À quatre, les complices s’inventent un monde aquatique ou cosmique, tâtent de la musique sérielle (« Flying Part III »), s’inspirent de Jarrett (« Flying Part IV », avec une magnifique interaction entre basse et piano) ou recherchent des matières sonores pour des ambiances planantes (« Flying Part V »).

Jazz ? Peut-être pas. Improvisation ? Sûrement. Fascinant ? Indéniablement.
Et c’est cela qu’on aime aussi chez Jef Neve, cet esprit d’aventure et de curiosité qui élargit le sens de la musique et du jazz.

par Jacques Prouvost // Publié le 2 mars 2009

[1Et deuxième sur une major : Universal.