Portrait

Jimmy Bennington donne le bourdon aux mercenaires

Sur son deuxième album avec le groupe Svobodni, le batteur américain poursuit sa plongée dans un univers ténébreux.


Jimmy Bennington @ Robert Morrison

Originaire de Houston et grand admirateur d’Elvin Jones, Jimmy Bennington devient son assistant en mai 2000 par l’entremise du saxophoniste Antoine Roney. « Initialement, je souhaitais prendre des leçons, mais Elvin avait catégoriquement rejeté ma requête », se souvient-il. Cet emploi durera deux ans avant que les relations avec Keiko, l’épouse/manager de Jones, deviennent orageuses — quelle surprise ! — et que le batteur se voie congédier à l’issue d’une série de concerts au Ronnie Scott’s de Londres.

Depuis son arrivée à Chicago en octobre 2006, Bennington reste un outsider sur la scène locale, collaborant avec une petite coterie de musiciens. Le dernier à s’associer à lui est le guitariste Phil Hunger, avec lequel il travaille chez Guitar Center, un magasin d’instruments de musique. À l’époque, celui-ci joue dans un groupe punk et ne s’intéresse pas au jazz. Cela ne rebute pas le batteur qui est surtout séduit par son jeu aux synthétiseurs qu’il a découvert par hasard et le rassure en lui expliquant qu’il ne cherche pas à monter un groupe de jazz. Un duo est né qui prend le nom de Svobodni en référence au journal d’un gardien de goulag. Autant dire que le premier album, Out in the Taiga at Night (ThatSwan ! Records), reflète les sentiments d’une « âme solitaire luttant pour une lueur d’espoir dans un endroit lugubre où règne l’hostilité ».

Pour le deuxième album, Mercenary Blues (ThatSwan !), Bennington met à profit la violente histoire de la Mésopotamie et du destin parfois malheureux de ces mercenaires qui échouent en terre inconnue et broient du noir. Par un pur concours de circonstances, le contrebassiste Davi Priest et le saxophoniste Brian Seyler se retrouvent de la partie et participent à la séance d’enregistrement. « Le challenge a été pour eux d’éviter leurs prédispositions jazziques, explique le batteur. Il a fallu parfois interrompre les prises lorsque nous nous éloignions trop du concept. »

Le disque repose exclusivement sur l’improvisation avec l’exception de « Ganges »—le Gange joue un rôle majeur dans l’Antiquité et ne dépare pas dans le projet. Cette composition est signée Seth Paynter, un saxophoniste sous-estimé que Bennington a rencontré au moment de ses débuts au Texas—et qui reste une influence majeure. Cela dit, pour qu’elle se coule dans le moule, elle a subi un travail de post-production. « J’ai coupé le début de la prise afin que la mélodie ne soit entendue qu’à la fin, déclare le batteur. Ce genre d’exercice est quelque chose de nouveau pour moi. » Parmi les autres traitements, on compte l’ajout de cris d’animaux (hyènes et chacals) ou de sons d’ambiance tels le marché syrien sur « The Whore from Larsa » qui devient littéralement un instrument supplémentaire et aide ainsi les musiciens à mieux résister à la tentation de remplir les espaces et les blancs.

Avec Svobodni, Bennington prend un congé salutaire de sa formation jazz de longue date Colour and Sound, et peut déjà réfléchir au concept qui guidera son prochain disque.