Scènes

Constellation fête ses dix ans

Les 7 et 8 avril 2023, la salle de Chicago a proposé deux soirées bien remplies.


Angels & Demons @ Ricardo Adame

Le mini-festival a reflété la diversité de la programmation du club qui va bien au-delà du jazz et des musiques improvisées en faisant de la place à la musique électronique (Sam Prekop, Bitchin Bajas), la chanson déjantée (Josephine Foster), la musique psychédélique (Matchess) ou le rock indépendant (Finom).

7 avril
Le trompettiste Wadada Leo Smith a l’honneur de donner le coup d’envoi des festivités. Il est entouré de la violoncelliste Tomeka Reid, du guitariste Lamar Smith, qui est aussi son petit-fils, et de deux batteurs, Frank Morrison et Mike Reed, propriétaire des lieux. Le trompettiste, fidèle à lui-même, produit de longues notes ou éructe de courtes phrases. Le quintet se décompose souvent en duos ou en trios, ce qui contribue à nourrir la trame narrative. La formule à deux batteurs accentue la puissance des roulements de tambours qui déferlent, ou crée un fond sonore fourmillant de détails. La musique offerte ne ressemble pas à ce à quoi Smith nous a habitués ces derniers temps. Force est de constater que l’octogénaire continue de prendre des risques — une belle leçon pour les plus jeunes générations.

Wadada Leo Smith @ Ricardo Adame

Natural Information Society est un groupe dirigé par le contrebassiste Joshua Abrams dans lequel il joue exclusivement du guembri. Avant d’entrer dans le vif du sujet, il annonce que le concert sera dédié au saxophoniste Kidd Jordan et au contrebassiste Harrison Bankhead, tous deux disparus ce jour. Cette formation à géométrie variable est composée ce soir de Mikel Patrick Avery à la batterie, Jason Stein à la clarinette basse et Lisa Alvarado à l’harmonium. Abrams qualifie sa musique de « minimalisme de l’extase ». À ce titre, le processus est itératif avec pour mantra une phrase qui n’est pas sans rappeler « A Love Supreme » de John Coltrane. Seul le batteur propose de subtiles variations et il faut attendre beaucoup de temps avant que Stein ne sorte de son carcan, prenne l’initiative et brode autour du leitmotiv répété à l’infini.

8 avril
La deuxième soirée voit la foule se réduire, certains spectateurs n’ayant peut-être pas récupéré de la veille en raison d’un trop-plein d’alcool et de cannabis — un camion stationné à l’extérieur de Constellation proposait des pétards gratuits. Le guitariste Arto Lindsay ouvre le bal, seul avec sa guitare. Il éprouve des difficultés avec ses pédales d’effets. Mais ne joue-t-il pas la comédie ? Pour certains, sa musique peut être interprétée comme une poésie du bruit tandis qu’elle plonge les autres dans la perplexité. Lorsqu’il revêt sa pelisse de crooner brésilien, il parvient à convaincre davantage.

Arto Lindsay @ Ricardo Adame

Le saxophoniste alto Darius Jones et la chanteuse Amirtha Kidambi forment le duo Angels & Demons. Ils créent des chansons artistiques à partir de poèmes écrits par Sun Ra. Le concert est poignant avec des hommages à la regrettée trompettiste jaimie branch (« Light from Other Worlds ») et au saxophoniste Kidd Jordan (« The End »). Les talents multiples de Kidambi trouvent un formidable écho dans le jeu déployé par Jones. Une grande réussite saluée par une réaction euphorique du public.

Passer après une telle prestation devient une gageure pour le pianiste Craig Taborn qui se produit en solo. Il s’acquitte de sa mission avec superbe. Impossible de ne pas penser à son concert à la Rockefeller Chapel durant l’édition 2014 du Hyde Park Jazz Festival. Son jeu peut partir de notes individuelles, chaque main en contrepoint de l’autre, qui se transforment en accords pour finalement s’épanouir en textures. En outre, des pulsations singulières contribuent à instaurer un climat troublant ou mélancolique. Ce n’était pas le premier concert de Taborn à Constellation, où il a été un des premiers à jouer, et ce ne sera certainement pas le dernier.

Lawrence Rocke a contribué à cet article.