Portrait

Mike Reed, le hasard fait bien les choses

Constellation, dont le batteur Mike Reed est propriétaire, fête son dixième anniversaire.


Mike Reed @ Ricardo Adame

Ouvrir et gérer une salle de spectacle ne figuraient pas dans les projets de Mike Reed. Le musicien de Chicago explique comment il en est arrivé là, comment il a négocié la pandémie de Covid-19 et comment il voit l’avenir.

C’était il y a 10 ans. Le batteur Mike Reed, à l’origine du célèbre Pitchfork Festival, n’envisage pas de s’occuper d’un club. Initialement, il doit chercher de nouveaux bureaux pour l’équipe de production du festival et un local pour stocker de l’équipement. Il semble avoir trouvé son bonheur, mais le jour de la signature du bail, l’affaire tombe à l’eau. Un concours de circonstances s’ensuit. Le lendemain, il découvre en effet que les propriétaires d’un théâtre (le Viaduct) vont vendre. Ce n’est pas vraiment ce qu’il cherche, mais il apprend que Links Hall, une association qui présente notamment des spectacles de danse, cherche également un nouvel espace à louer. « Avec un tel locataire, j’étais déjà en mesure de payer les mensualités du prêt immobilier, explique Reed. En outre, j’en étais à un stade de ma vie où je devais me comporter en adulte et chercher à investir ». Enfin, l’annonce par la ville de Chicago de travaux de voirie à proximité du théâtre finit par convaincre le musicien de la viabilité du projet.

Constellation @ Ryan Moore

Au moment où la décision est prise, Mike Reed n’entrevoit toujours pas la création d’un club. « Le lieu avait une licence pour vendre de l’alcool et je me disais que je pourrais proposer des boissons durant les spectacles donnés par Links Hall », se souvient-il. Cependant, l’idée de présenter des concerts de temps en temps fait peu à peu son chemin, car rares sont les salles spécialisées dans le jazz aventureux ou les musiques improvisées qui opèrent le week-end. Au fil du temps, le nombre de concerts augmente, avec des pauses annuelles, notamment autour du Pitchfork Festival que Reed continue d’organiser. « Le but est de présenter des musiques absentes du circuit commercial, précise-t-il. Nous ne faisons d’ailleurs pas de profits ». Gagner de l’argent n’étant pas au programme de Constellation - ainsi nommé en hommage à un label de Chicago des années 60 spécialisé dans le rhythm’n’blues et le gospel -, le batteur décide de créer une association à but non lucratif en 2018 afin de demander des subventions et recevoir des dons.

Puis survient la pandémie qui, selon Reed, bénéficie de curieuse manière à Constellation. Les aides financières affluent. Une subvention permet notamment à l’équipe technique d’améliorer ses compétences ; il met cela à profit pour diffuser certains concerts en streaming, avec un son et une image de grande qualité. En outre, les musiciens programmés repartent désormais avec une vidéo gratuite de leur concert réalisée à l’aide de quatre caméras. Cela dit, le batteur estime que la fréquentation n’est pas vraiment revenue au niveau d’avant pandémie. « Les informations sur les concerts ne sont plus centralisées et les réseaux sociaux n’invitent pas à prendre des risques », se lamente-t-il.

Mike Reed @ Ricardo Adame

Mike Reed reconnaît que cette aventure aurait pu être plus difficile. « Nous ne sommes pas partis de rien, précise-t-il. J’ai travaillé dans un bar dès l’âge de 23 ans et depuis 2001, je programme des concerts hebdomadaires au Hungry Brain avec le cornettiste Josh Berman ». Et n’oublions pas Pitchfork : « Ce festival est un projet. Une fois terminé, c’est oublié. Avec Constellation, c’est perpétuel. Il faut toujours planifier l’avenir et remplir les trous dans le calendrier. Je préfèrerais ne pas vivre autant dans le futur », admet-il.

Parmi ses meilleurs souvenirs, Mike Reed cite un concert en solo de Fred Frith. Mais il n’oubliera jamais les encouragements prodigués par les « anciens » et la confiance qu’ils lui ont témoignée. En 2014, Roscoe Mitchell et Muhal Richard Abrams jouent le même soir en solo. Et en 2015, lorsqu’Abrams est de retour à Chicago pour se produire avec son Experimental Band dans le cadre du 50e anniversaire de l’Association for the Advancement of Creative Musicians (AACM), il insiste pour que les répétitions se déroulent à Constellation. « Cela m’est allé droit au cœur », avoue Reed.