Scènes

Hyde Park Jazz Festival : retour à la normale

L’édition 2022 a réinvesti le quartier de Hyde Park dans le sud de Chicago, pour le plus grand bonheur de ses fans.


@ Marc Monaghan

Après une version itinérante en plein air en 2020, une version concentrée sur deux sites en 2021, le Hyde Park Jazz Festival a repris son rythme de croisière avec des concerts sur deux jours (24 et 25 septembre) répartis dans de nombreux lieux, le chevauchement des concerts et les distances séparant les différentes scènes obligeant à des choix difficiles.

Comme à l’accoutumée, la programmation fait la part belle à la scène locale et les grands noms de passage ont connu cette année des réussites diverses. Le concert en solo tant attendu de David Virelles déçoit. Certes, le pianiste cubain a des idées plein la tête, mais elles sont bancales ou restent à l’état de germe. En revanche, Charles McPherson, vétéran du saxophone alto, est plein de verve à 83 ans. Avec le trompettiste Terell Stafford pour lui donner la réplique, il propose une musique classique bien enracinée dans le bop mais en y infusant de la modernité.

David Virelles @ Marc Monaghan

Parmi les autres concerts à retenir, on citera celui du trompettiste canadien Darren Johnston qui a présenté son projet Life in Time dont le disque éponyme est sorti chez Origin Records en février 2022. Aujourd’hui résident à Brooklyn, il a tissé des liens avec Chicago alors qu’il vivait encore à San Francisco. Ce quatuor en compagnie de Geof Bradfield au saxophone ténor, de Clark Sommers à la contrebasse et de Dana Hall à la batterie, en est un des résultats. Ensemble, ils revisitent six morceaux tirés du nouvel album qui donnent une bonne mesure de la polyvalence des musiciens. Tour à tour poétique, enjouée, introspective, mélodique ou lancinante, sur un rythme reggae ou une trame mingusienne, la formation fait preuve d’une cohésion exemplaire. Bien poussés par la section rythmique, Johnston sait se montrer truculent et Bradfield puise dans la profondeur de son ténor. Un autre exemple réussi de collaboration entre des musiciens de Chicago et d’ailleurs.

Darren Johnston @ Marc Monaghan

On pouvait beaucoup attendre de Weaving Strands of Sound, un projet associant Hear in Now, le trio dirigé par la violoncelliste Tomeka Reid et composé de Silvia Bolognesi à la contrebasse et de Mazz Swift au violon (bien qu’absente ce jour-là), à QWANQWA, un groupe d’Addis-Abeba emmené par la violoniste américaine Kaethe Hostetter avec Endris Hassen au masinqo (vièle), Bubu Teklemariam au krar basse (lyre), Misale Legesse au kebero (tambour à double tête) et Selamnèsh Zemene au chant. En outre, deux invités de marque viennent compléter la troupe : la violoniste Eddy Kwon et le batteur Chad Taylor. À la croisée de la tradition et de l’expérimentation, les climats s’apparentent à la musique contemporaine et sont dominés par les cordes frottées. Le résultat est agréable mais ne parvient pas à susciter un enthousiasme débordant. Ce sont Legesse sur ces tambours est-africains et Taylor qui tirent leur épingle du jeu en formant un duo symbiotique. Et il ne faut pas oublier la chanteuse Zemene dont les hululements et les danses apportent une énergie salvatrice.

Silvia Bolognesi, Tomeka Reid et Endris Hassen @ Marc Monaghan

Le clou du festival est sans doute These Things Happen, le quatuor co-dirigé par le saxophoniste Keefe Jackson et le pianiste hollandais Oscar Jan Hoogland. Ils sont soutenus par le contrebassiste Jason Roebke et le batteur Mikel Patrick Avery qui contribuent au succès du concert en faisant preuve à la fois d’humour et d’invention. À l’écoute de l’album éponyme sorti en août 2022 mais enregistré en 2016, il est clair que le groupe a parcouru beaucoup de chemin entre-temps. Outre des compositions des deux co-leaders, Misha Mengelberg et Thelonious Monk sont à l’honneur, l’influence de ce dernier étant particulièrement perceptible dans les morceaux originaux. « De Lachende Dwerg » de Mengelberg est l’occasion de livrer un condensé du jazz hollandais, à mi-chemin entre la musique de cirque et la marche, parsemé de dissonances et agrémenté de la malice d’Hoogland. Deux bijoux de Monk sont l’occasion pour les musiciens de se surpasser. Le thème de « Green Chimneys » connaît d’innombrables variations et Jackson réalise un tour de force en jouant la mélodie de manière presque inaudible. Avec « Well You Needn’t », le thème est décomposé et chaque partie répétée en long et en large avant de passer à la suivante. Ce sont de telles idées originales qui laissent à penser que ce groupe va encore faire parler de lui.