Chronique

Joe Fiedler’s Big Sakbut

Live in Graz

Joe Fiedler, Ryan Keberle, Luis Bonilla (tb), Jon Sass (tu)

Label / Distribution : Multiphonics Music

Témoignage d’une tournée européenne à la toute fin de l’année 2019, Live in Graz est l’occasion de retrouver un orchestre atypique qui nous avait enchanté pour son premier album en 2012. Aux commandes, on retrouve toujours Joe Fiedler, l’homme de Sesame Street et ancien membre – entre autres - du Big Band de Charles Tolliver. Preuve que le tromboniste est ouvert à tous les vents, on le retrouve aussi chez Ed Palermo et Satoko Fujii. Ce Live in Graz en est l’illustration, du très traditionnel « Ways » où sa simplicité fait merveille jusqu’au blues de guingois « Su Blah Blah Buh Sibi » concocté par Roswell Rudd, glorieux aîné. C’est d’ailleurs dans ce morceau que s’illustre Ryan Keberle qui sort du rôle de mélodiste talentueux dans lequel il s’est longtemps réfugié pour venir apporter son souffle chaud et cuivré à un morceau savamment versatile.
 
Construction subtile de timbres entre trombonistes, puisqu’il faut rajouter Luis Bonilla, membre du Dave Douglas Brass Ectasy et familier de Donny McCaslin. Ce dernier remplace Josh Roseman et apporte une couleur supplémentaire que l’on peut apprécier dès le « Devil Woman » de Mingus, où sa maîtrise de la polyphonie chère à Mangelsdorff fait immédiatement merveille. Pour ordonner cette profusion de coulisses, il fallait une base rythmique qui déleste les trombones de cette tâche. Dans le mythique World of Trombones, auquel on songe beaucoup ici, Slide Hampton avait opté pour un traditionnel contrebasse/batterie. Avec un effectif réduit d’un tiers, Fiedler se fait plus joueur sans se vouloir iconoclaste, et c’est le tuba de Jon Sass qui tient la corde.
 
Le trombone est comme un serpent qu’on enroule sur la basse rugueuse de l’Américain - installé en Autriche - qu’on a notamment pu entendre avec Mamadou Diabaté. Il pourrait se montrer pachydermique, il est au contraire d’une fascinante agilité. Sur « Bethesda Fountain » de Rudd, il prend le relais après une belle échappée de Kerberle pour encadrer les débats comme on dame une piste enneigée. Mais Sass, au service des trombonistes, reste toujours en retrait, se posant simplement en garant de leur liberté. En visitant l’Europe, Fiedler voulait inscrire son trombone dans la mémoire de la sacqueboute médiévale. Il en garde un certain goût pour l’ornementation. Mais pour le reste, Big Sackbut a su inventer sa propre légende, d’une grande efficacité.