Chronique

Diagonal

Back in Tunisia

Label / Distribution : Infigo

On se souvient de Nights in Tunisia, album très important de la première partie de la décennie 2010 qui consacrait la première incursion de Diagonal, l’orchestre du pianiste Jean-Christophe Cholet de l’autre côté de la Méditerranée. Depuis, le pianiste a livré des duos solaires ou s’est penché sur le Tombeau de Poulenc avec la même subtilité, mais il demeurera toujours un souvenir particulier de ces folles nuits tunisiennes. Poussée par l’euphorie des printemps arabes, la musique, subtil assemblage entre musique écrite occidentale, tentations urbaines et musiques traditionnelles orientales, offrait un mélange joyeux et explosif qui n’a pas pris une ride.

Presque neuf ans plus tard, on sait ce qu’il est advenu de la Rue ; il reste l’espoir qui ne s’éteint jamais et les échanges incessants entre les cultures. Back in Tunisia est ce témoignage et, tout comme l’époque, beaucoup de choses ont changé. Pas d’invité, mais la présence à temps plein de Dorsaf Hamdani qui habite tout l’album, du magnifique et profond « Ya Man Bi Lahdhi » à des scats plus légers. Après tout, tout est mobile sauf la structure de l’orchestre ; certes, Sylvain Gontard a remplacé Geoffroy Tamisier tout en gardant le même registre chaleureux : en témoigne « Andalussi », écrit par le turbulent batteur Karim Ziad qui remplace Chander Sardjoe. Mais l’énergie reste identique. On conserve surtout le même attachement à une puissante base rythmique tenue de main de maître par la basse électrique de Linley Marthe. Back in Tunisia n’est pas seulement un retour, c’est une ouverture des possibles : la direction pointilleuse de Cholet reste (« Ardhi », très concertant au piano pour un bel échange avec Hamdani puis un dialogue très riche entre le violoniste Lyadh Labbene et le trop rare tromboniste Geoffrey de Masure), mais elle n’est pas univoque.

Car c’est l’un des principaux changements dans cet aller-retour sur les contreforts de l’Atlas. Alors que Cholet signait tous les morceaux, ils sont désormais plusieurs à écrire. Parmi eux, De Masure est le plus prolixe, avec notamment « Sidi Blue Saïd » où il offre une des ces échappées belles dont il a le secret, dans une atmosphère plus électrique où Dorsaf Hamdani se fait très joueuse. La direction de l’orchestre devient même bicéphale, avec une prise de responsabilité du tromboniste. Sur « Safar », qui sonne comme la fin d’un voyage, le rôle de De Masure est de régler toute la ligne de soufflants, où l’on est heureux de retrouver le ténor de Vincent Mascart. Gontard y est impressionnant, mais l’emballement qu’offre le trombone, les ruptures rythmiques qui font tangenter Diagonal vers des sonorités gnawas sont clairement des décisions qui incombent à Geoffrey De Masure. On le sent dès le départ de Back in Tunisia, mais davantage encore dans ce final brillant : ce n’est pas le dernier voyage de Diagonal au Maghreb. Il y a dans cet orchestre une joie du jeu et de la rencontre, et un répertoire qui ne cesse d’évoluer. On n’a pas fini de revenir en Tunisie.

par Franpi Barriaux // Publié le 31 octobre 2021
P.-S. :

Jean-Christophe Cholet (p), Geoffroy De Masure (tb), Iyadh Labbene (vln), Dorsaf Hamdani (voc), Vincent Mascart (ts, ss), Sylvain Gontard (tp, flh), Linley Marthe (b), Karim Ziad (dms)