Chronique

John Scofield Band

ÜBERJAM

John Scofield (g), Avi Bortnick (rythm g & samplers), Jesse Murphy (b), Adam Deitch (d), John Medeski (kbd), Karl Denson (s & fl)

Label / Distribution : Verve / Universal

Parfois, lorsque je ferme les yeux, je m’en souviens…

Il y a comme un siècle de cela, la télévision française - pour laquelle la notion de service public avait encore un sens - avait décidé de confier à M. J.C. Averty la réalisation des retransmissions de « Jazz à Juan ». Encore petit garçon, j’étais particulièrement étonné du luxe d’information qui entourait chacune des prestations : sur des bandes noires façon « Cinémascope » venaient systématiquement s’afficher le titre, les noms des auteurs et de l’interprète, mais aussi et surtout la date et l’heure de la performance, à la minute près.
Bien plus tard, je pris conscience du paradoxe qui justifiait cette précaution que je prenais alors pour du maniérisme : comment une forme d’expression à l’instantanéité revendiquée supporte-t-elle d’avoir pour histoire l’histoire de ses enregistrements ?

L’interrogation me revient à l’esprit alors que je termine l’écoute de cet album, et que je tente d’apaiser l’état de frustration dans lequel il me laisse ; un peu comme si mon meilleur ami venait de me raconter avec maladresse cette soirée fantastique à laquelle, la veille, je n’aurais pu me rendre.
Je me surprends alors à tenter d’imaginer à quoi pouvaient ressembler ces quarante concerts qui, de l’aveu de l’auteur, ont précédé le passage en studio : des tourneries lentement mûries sur le tas, servies par une rythmique irréprochable, et sur lesquelles un public certainement plus jeune qu’à l’habitude danserait, agréablement surpris de retrouver à un concert dit de jazz ces idiomes urbains qu’il affectionne tant, Funk, Groove, Hip-Hop, Jungle ou Drum’N’Bass. C’est sûr, ils ont dû s’amuser, les bougres !

Malheureusement, de même que le panda géant ne survit que difficilement en captivité, la vitalité de cette musique ne semble pas supporter la mise en boite : les titres se succèdent sans convaincre (à part le très abouti Überjam), et Scofield peine parfois même à installer son jeu.
Alors, en attendant l’éventuelle sortie d’une version « live », et si vous souhaitez vous faire une véritable idée du talent de ce guitariste hors pair, je ne saurais que trop vous conseiller de vous procurer, entre autres, l’excellent « Groove Elation » (chez Blue Note, 1995)…