Chronique

Julien Béhar, Stéphane Decolly

Encre(s) sonore(s)

Julien Béhar (as, électroniques), Stéphane Decolly (eb) + Christophe Forget (dessin)

Label / Distribution : Autoproduction

Ce duo est en réalité un trio. Le saxophoniste Julien Béhar (il dirige la formation Z Comme et côtoie aussi Sébastien Boisseau, Pierre Durand, Emmanuel Bex, Rhoda Scott, etc.), installé à Segré dans le Maine-et-Loire, se tient au côté du Tourangeau Stéphane Decolly (bassiste aussi électrique qu’éclectique, entendu chez Rigolus avec Thomas de Pourquery, Le Grand Orchestre du Tricot, Freaks de Théo Ceccaldi ou encore, comme remplaçant de luxe, dans les O.N.J. d’Yvinec et Benoit) et sont ici la paire complémentaire du plasticien Christophe Forget. À moins que ce ne soit l’inverse.

Encre(s) sonore(s) est en effet un dispositif scénique qui associe musique et art graphique. Sur les compositions des musiciens, le dessinateur crée en temps réel de grands lavis à l’encre noire représentant des paysages imaginaires qui évoquent les berges des fleuves (on songe à la Loire bien évidemment). L’improvisation et les interactions entre les deux disciplines étant ici un moteur pour pousser plus avant une création commune.

Pourtant la captation, dans les conditions du live, se suffit à elle-même. Le pouvoir évocatoire de la musique produit des images intérieures qui sont le parfait pendant des propositions picturales. En une série de moments instantanés, on découvre un bruitisme doux qui est le fait du saxophoniste, propice à amorcer une mise en mouvement de la pensée et déclencher ainsi un processus mental déambulatoire. Des souffles, des crachotements micro-électroniques participent à rendre la matière sonore vivante, enveloppée par une basse qui grave des lignes assumées mais ondulatoires.

Peu à peu, comme un paysage qui s’ouvre à mesure d’une balade, les rôles s’inversent. La basse devient un sillon plus ferme et s’ancre dans le sol. Un saxophone plus affirmé s’appuie sur cette trace profonde et finit par imposer un thème mélodique délibérément onirique (sur le titre « Mockba 80 » notamment). Les instruments s’enlacent, se tournent autour faisant le choix de couleurs feutrées d’où l’esprit du jazz n’est jamais absent. Sans rien imposer, voire avec discrétion, les deux musiciens font le pari de la liberté de forme et se concentrent avec attention sur le rôle d’accompagnants. Ils parviennent toutefois à être les vecteurs indispensables à un voyage sensoriel. Une disque à voir autant qu’à écouter. 

par Nicolas Dourlhès // Publié le 12 septembre 2021
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