Chronique

Jürg Wickihalder Overseas Quartet

Furioso

Jürg Wickihalder (ss, as), Achille Succi (bcl, as), Mark Zubek (b), Kevin Zubek (dr)

Label / Distribution : Intakt Records

Steve Lacy. Le nom devrait vous sauter à l’oreille dès les premières mesures. Cette porte ouverte étant dûment enfoncée (pas besoin d’être bien malin : outre la musique, le livret de l’album cite son nom pas moins de vingt-sept fois !), penchons-nous plus attentivement sur cet album qui ne saurait se résumer à un hommage scolaire. Le simple fait qu’il soit paru chez Intakt - label plutôt porté sur l’improvisation libre et peu suspect de se vautrer dans le revivalisme plan-plan - devrait attirer l’attention.

Jürg Wickihalder est un saxophoniste suisse (patrie d’élection de Steve Lacy) qui a joué notamment avec Irene Schweizer, Pierre Favre, Hans Koch et… Steve Lacy, dont il a été l’élève. Voilà. Du maître, il a hérité certes un son de soprano, mais surtout une façon d’attraper la musique, si l’on ose dire : en la prenant par tous les bouts à la fois, sans la mettre dans du coton, sans la passer à l’eau de Javel. Plus un amour immodéré pour les compositions de Monk.

L’Overseas Quartet se compose, comme son nom l’indique, de musiciens européens et américains. Italien, le clarinettiste et saxophoniste Achille Succi qu’on a pu croiser aux côtés de Louis Sclavis, Ettore Fioravanti, Uri Caine. Nord-américains, canadiens pour être précis, les frères Zubek : Kevin le batteur a fait partie du groupe Satlah, signé sur le label Tzadik, et Mark, bassiste, a joué entre autres avec Wynton Marsalis, Jack DeJohnette, Dave Holland, et publié deux albums en tant que leader. Tous quatre se sont rencontrés au Berklee College, évidemment.

Leur musique est étonnante. Encombrante, pour qui chercherait à la classer dans un tiroir quelconque de son armoire à jazz. Ce n’est pas de l’improvisation libre. Ce n’est pas du free jazz. Les thèmes et les mélodies sont très présents, on note même - tenez-vous bien - une valse : « Lovers ». Même pas swing, la valse : limite musette, voire fandango par moments. Avec des ralentis et des accélérations « baloche » en veux-tu en voilà. Et une autre, très lente, façon slow, à la fin : « Autumn Child ». Et deux thèmes de Monk : « Four In One » et « Played Twice », avec de vrais morceaux de walking bass dedans, mais ce n’est pas du bop. Ni même du post-bop : les improvisations sortent allègrement des grilles et des modes, cela part dans tous les sens et surtout dans les aigus (Lacy, toujours). Il flotte là-dedans des influences inattendues, un peu fanfare teutonne, un peu parade New-Orleans (« Warm-Up Party ») mais ce n’est pas de la fanfare. « The Pocket Trumpet Man » se réfère et fait penser à Don Cherry sans en être. Les impros ont quelque chose à voir avec Rahsaan Roland Kirk, aussi : l’énergie, le foutoir apparent. Mais ce n’est pas du sous-Kirk.

Le fait est que l’ami Wickihalder se moque bien des styles et des genres : il fait son truc, voilà. Un truc un peu déroutant, assez attachant avec sa façon un peu foutraque de mêler les références dans une macédoine musicale mi-fondante, mi-croquante sous la dent. Il règne dans cet album un joyeux bazar iconoclaste, un esprit frondeur réjouissant ; ne boudons pas notre plaisir : c’est agréable, ces thèmes bien mélodiques qui se mémorisent tout seuls. Il manque juste un petit quelque chose pour que ce premier album de l’Overseas Quartet soit un grand album. Quoi ? Peut-être un peu de « bouteille », de maturation. Le vin est encore un peu vert, en somme, mais il devrait vieillir bien. En attendant le prochain disque, on aura tout intérêt à goûter ce premier millésime : le terroir est riche, le cépage bon, le vigneron prometteur.