Chronique

Kama Kollektiv

Toivo

Kirsi-Marja Harju (tp, voc), Jetse de Jong (p), Jonathan Nagel (b), Yoad Korach (dms)

Label / Distribution : Berthold Records

Kama Kollektiv est de ces orchestres qui ne peuvent exister qu’à Amsterdam. D’abord parce que c’est au carrefour de l’Europe et du Monde, et qu’il n’y a que dans la ville batave que peut s’épanouir un orchestre mené par une chanteuse et trompettiste finlandaise, un pianiste hollandais, un contrebassiste allemand et un batteur israélien. Ensuite parce qu’une chanson comme « Inventing Memories », chaleureuse et tout en malice entre le piano de Jetse de Jong, et la batterie de Yoad Korach, ne peut voir le jour que sur les ponts qui enjambent l’Amstel, avec ce qu’il faut de poésie et de fantaisie. Surtout lorsque les mots de Kirsi-Marja « Kiki » Harju viennent donner une couleur vive et franche à un orchestre qui tangue entre une pop très ouvragée où les traditions nordiques ont leur importance et un jazz contemporain très sensible. Sans vraiment s’ancrer dans l’un ou l’autre. Un vrai travail d’équilibriste.

La personnalité de Kiki Harju est pour beaucoup dans l’identité de Kama. Sa voix traînante et très onirique, avec un fort accent finnois, nous transporte dans un ailleurs que la multitude d’influences et de directions nous laisse imaginer. Dans « I Wish You Could See my True Nature », où sa voix rencontre l’archet profond de Jonathan Nagel avec un vrai sens de l’équilibre, renforcé par toutes les colorations proposées par le piano, chaque musicien à son propre univers. On perçoit la grande culture classique de Jetse de Jong et les tentations plus free de Nagel, remarquable dans l’introduction de « Silence Your Own Voice », où la trompette de Harju se fait solaire, révélant une autre facette d’un orchestre protéiforme. Kama Kollektiv pourrait se contenter de jouer la carte d’une pop luxueuse et emphatique, mais la candeur revendiquée des textes et la simplicité des morceaux écrits par la jeune Finlandaise en décident autrement et offrent à Kama du relief et une belle maturité (« Distance Song », hymne au spleen du pays, indispensable en temps de pandémie, en témoigne…).

On songe aux premiers albums d’Orioxy à l’écoute de Toivo, qui signifie « Espoir » en finnois. Pas seulement dans cette quête de l’étrange et dans cette approche très personnelle et à fleur de peau de la pop, mais aussi dans cette capacité à amalgamer sans heurts des personnalités fortes dans un collectif sans qu’elles se neutralisent. Le quartet suisse trouvait son inspiration dans des évocations de la nuit, Kama Kollektiv cherche davantage ces lumières d’été qui s’étendent sans fin (« Maybe »). On retrouve également ce plaisir enfantin du jeu, bien incarné par une Kiki Harju pétillante. Découvert lors du dernier Jazzahead, ce truc (Kama veut dire « truc » en finnois) est de ceux qui quittent difficilement votre platine et y prennent leurs aises, tant il fait du bien. Dans cette période si morose, le réconfort tout simple de « Muiden Käsissä », son lent crépitement d’un feu qui se consume entre piano et trompette, est une douceur qui ne se refuse pas. A découvrir de toute urgence.

par Franpi Barriaux // Publié le 7 novembre 2021
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