Chronique

Marc Maffiolo & Laurent Paris

Agafia

Marc Maffiolo (ts, bss), Laurent Paris (perc, elec, objets)

Label / Distribution : Linoléum

Agafia est le prénom d’une femme dont l’histoire est contée par l’écrivain et journaliste russe Vassili Peskov [1]. Agafia a fui avec sa famille pour aller vivre une vie de peine mais de liberté dans les steppes inhospitalières de la Sibérie, loin de l’ordinaire, au fil des saisons, du temps et des éléments, dans un monde qui est le sien et dont les seules limites sont l’horizon et sa volonté. On trouvera bien des similitudes avec ce disque [2], enregistré live au théâtre du Pavé (Toulouse), dans le cadre d’Un pavé dans le jazz, notamment dans cette abnégation à tracer une route singulière.

Le saxophoniste Marc Maffiolo, que l’on peut entendre par ailleurs avec Stabat Akish, et le batteur Laurent Paris n’ont pas quitté leur Sud-Ouest pour des rives plus revêches. Mais on retrouve chez eux la volonté de créer de nouveaux espaces, bruts et sauvages, et de se les approprier. Avec ce duo, traditionnel et presque tonitruant de références aux musiques improvisées des années 60 et 70, ils cherchent à s’inscrire dans une longue continuité qui a toujours offert un creuset adapté aux musiques libres et spirituelles. L’exercice peut être périlleux ; la complicité totale entre les deux solistes permet de le maîtriser.

Dès les premières notes de la première plage [3], Maffiolo, qui sonne magnifiquement au ténor, s’imprègne du silence, virevolte et s’enflamme. A ses côtés, Paris gifle son métal et ses peaux, se crispe ou explose en restant simple et direct, aussi leste que les traits d’épures de la pochette. Il échauffe l’atmosphère, lorsqu’il ne va pas chercher l’alacrité de quelque dispositif électrique pour épaissir le trait. Laurent Paris est également sculpteur ; tout dans son jeu est pétrissable et graphique.

L’originalité d’Agafia, ce sont les « improvisations vers » qui forment les quatre morceaux suivants : deux thèmes de Maffiolo (« Un koala à Manhattan ») et Paris (l’apocalyptique « Affreux jojo ») et deux morceaux célèbres, le standard « Strange Fruit » et la romance à flonflons chère à Rina Ketty - et Berlioz ! - « Plaisir d’amour »… On retrouve chez Maffiolo cette utilisation à la fois rythmique et chaleureuse du saxophone basse qui contribue au son effréné de Stabat Akish. La route vers le thème est tortueuse, pleine de surprise et de chausse-trapes. Elle visite des rythmiques de transe ou des slaps bruitistes pour se conclure sur un thème construit. Les deux musiciens se passent les relais, empruntent des traverses escarpées pour se retrouver ou au contraire se semer. Sur « Plaisir d’Amour » rendu aylerien par un Maffiolo tout en ironique lourdeur, l’arrivée au thème est fortuite, comme un fil qui se tend vers une conclusion en rupture. Cette multitude de chemins, entre épure et massivité, humour et empoignade font d’Agafia une musique de l’instant qui se complaît pourtant fort bien sur disque…

par Franpi Barriaux // Publié le 22 octobre 2010

[1Des Nouvelles d’Agafia, Actes Sud.

[2On peut voir l’une de leur prestation sur cette vidéo.

[3Sobrement intitulée « Improvisation ».