Chronique

Kaze

Tornado

Christian Pruvost (tp), Natsuki Tamura (tp), Satoko Fujii (p), Peter Orins (dms)

Label / Distribution : Circum Disc

Deux ans après la sortie de Rafale, déconstruction méticuleuse de Chopin marquant dix ans de complicité, le quartet franco-nippon Kaze se retrouve pour souffler à nouveau dans les voiles de l’improvisation dans la cohésion la plus totale. Le vent est toujours le moteur de l’orchestre ; la bourrasque a enflé, la voici tornade : Tornado, collision fondatrice entre deux trompettistes aux techniques si étendues qu’elles semblent sans limite. Christian Pruvost et Natsuki Tamura rivalisent de tensions et de growl, de jeu d’embouchures et d’attaques cuivrées dans le « Wao » inaugural aux allures de manifeste pour une catastrophe féconde. Mais le lyrisme et l’impétuosité ne sont pas l’unique moteur de ce train lancé à toute vitesse. Ce qui meut le quartet, c’est la liberté de chacun. Celle qui se conquiert de haute lutte par la maîtrise collective.

La lente édification dissonante de Pruvost et Tamura n’aurait pas cette force sans le martèlement uni de la pianiste Satoko Fujii et du batteur Peter Orins. Ils emmènent la musique de Kaze dans les profondeurs de l’entropie. Le jeu nerveux et très percussif de Fujii se confond avec la frappe toujours sèche du Lillois. Très vite, on comprend qu’il y a, au-delà des complicités timbrales, des liens plus organiques. Outre que les deux Japonais animent depuis années la scène improvisée de l’archipel, et que les Nordistes s’intègrent au collectif Circum, un goût commun pour le mouvement perpétuel les lie profondément. Voir cette « Mécanique » presque apaisée où chaque soliste s’imbrique dans la musique à venir avec une grande souplesse et une douceur ouatée annonçant les plus belles tempêtes… C’est ce qui différencie fondamentalement la Rafale de cette tornade : la première n’était qu’un épisode discontinu fait de brisures soudaines, la seconde est une construction géométrique sans faille qui n’oublie aucun détail. L’album articule la continuité des temps forts et des temps faibles dans des cycles implacables de cinq morceaux interdépendants. Dans le bien nommé « Tornado » au cœur de l’album, c’est la lente ouverture pointilliste d’Orins qui fait naître le bouillonnement main gauche de Fujii. Le reste appartient au jeu très brillant des trompettistes ; renversons un instant la théorie du chaos, puisque tout semble permis : ici, c’est de la tornade que naît le vol gracile du papillon. Il prend ici la forme d’un final rutilant où piano et trompette sont lancés dans une chaleureuse étreinte.

Avec cet album, Kaze réunit quatre musiciens farouches qui jouent en communion sans travestir une once de leurs univers respectifs. Au contraire, la fièvre passionnée qui les anime jusqu’aux confins de « Triangle » permet de clore Tornado dans un final époustouflant. Chaque anfractuosité de la masse orchestrale est une pierre supplémentaire à un édifice très collectif où des territoires inconnus se découvrent à chaque nouvelle écoute. L’allure parfois folle de cet album nous laisse cependant le temps de les découvrir en détail. Ce coup de vent est un coup de cœur.