Chronique

Džukljev, Weber, Griener

Industriesalon

Marina Džukljev (p), Christian Weber (b), Michael Griener (d)

Label / Distribution : Trouble in The East

Alors qu’il nous avait évoqué ce nouveau trio dans sa dernière interview en date, le batteur berlinois Michael Griener tient ses promesses avec Industriesalon, en présentant un travail sensiblement différent de ce qu’il peut proposer habituellement. La raison en est d’abord l’approche très sensible et assez autonome de la pianiste croate Marina Džukljev, dont le jeu très méticuleux autour des préparations de son piano ne va pas sans rappeler le travail de Magda Mayas. Dans les premiers instants de « Resistor », la pièce centrale de ce disque, c’est ce jeu interne, fait de mèches dans les cordes et de frappes mates, qui construit de vastes paysages inhabités sans être des landes hostiles, bien animés en cela par l’archet très fluide de Christian Weber, dans un ciel qui peut se mettre soudain à tonner, au gré des accélérations de la pianiste et d’un contrebassiste à la position très centrale.

C’est bien là le fait marquant de ce disque avec Griener, souvent associé avec son acolyte Jan Roder : on l’entend ici avec un contrebassiste qu’on pourrait qualifier de coloriste, voire d’impressionniste dans son approche très douce de l’instrument. L’attelage n’est pas nouveau, si on se souvient d’un trio avec Ellery Eskelin. Le batteur laisse ici beaucoup de place à un dialogue constant entre contrebasse et piano, toujours dans une volonté de chercher une lumière diffuse et apaisée. Le batteur ne convoque pas souvent l’urgence, préférant ponctuer de frappes parcimonieuses un propos dense où la douceur laisse place souvent à un mécanisme puissant, huilé et adamantin où la main gauche de Džukljev prend la rythmique à son compte, laissant basse et batterie s’occuper des fracas secondaires, comme un engrenage lointain (« Empty Gloves »).

Ce qui marque avant tout, c’est le caractère très mécanique du propos d’Industriesalon : ce sentiment implacable d’une musique qui avance sans heurt, avec une énergie invisible mais puissante, générée par le recours fréquent à un couple tension/détente où le piano est à la manœuvre. On découvre avec beaucoup d’intérêt Marina Džukljev dont l’approche très contemporaine est la clé de cet album puissant qui honore encore une fois Berlin la cosmopolite.