Chronique

Ken Vandermark

No-Exit Corner

Ken Vandermark (ts, cl), Mark Tokar (b), Klaus Kugel (dms)

Label / Distribution : Not Two Records

Avec No-Exit Corner, le trio constitué autour de Ken Vandermark est un exemple parfait de ce que le Free Jazz peut engendrer et concentrer comme énergie. Deuxième rencontre dans ce cadre avec le batteur allemand Klaus Kugel et le formidable contrebassiste ukrainien Mark Tokar, cet album paru presque naturellement sur le label Not Two est un précipité de sentiments contraires. De la parole libérée, abrupte et joyeuse à la tempérance poétique où chaque son est un potentiel chemin oblique, il y a toute une gamme des possibles dont les musiciens usent sans chercher à gagner du temps ni à se perdre en chemin. L’exemple le plus sensible est certainement l’inaugural « Left Sided Driver », où Vandermark au ténor paie son tribut à McPhee dans une tension palpable, mais ne cherche nullement à surenchérir quand les cymbales de Kugel demandent à s’enfoncer calmement dans un climat plus abstrait, délicatement enchevêtré.

Avec les deux Européens, le soufflant de Chicago n’a pas besoin d’entremetteur : nous sommes face à de vieux routiers du free, qui ont l’habitude des climats de tension. Le batteur, qui a joué avec John Dikeman ou Joe McPhee, est le compagnon parfait des ruptures avec son jeu nerveux et pourtant impassible. Il est capable de passer en quelques secondes - et sans perdre son fil - du tonnerre qui gronde dans « Splint Hinge » aux enluminures on ne peut plus précises et raffinées où chaque micron de métal de sa batterie est une couleur exploitable (« Message to The Past »), plus proche de ce qu’il avait pu développer avec Theo Jörgensmann. Sa relation avec Tokar, entre autre en compagnie les multianchistes Yuriy Yaremchuk ou Roby Glod, permet de constituer un canevas solide sur lequel se reposer. Ou se fracasser, si le besoin s’en fait sentir.

Enregistré live à Cracovie fin 2016, No-Exit Corner est un disque lumineux qui réjouira les amateurs du genre, mais gagnera également les cœurs des novices ou des réticents par la puissance générale qui se dégage ; ce n’est pas musculeux et épais comme peuvent l’être certains albums en trio dans cette configuration : l’enjeu ne réside pas dans le face-à-face, mais au contraire dans une recherche de liberté totale, désaliénante, qui n’hésite pas à regarder derrière elle et à s’inscrire dans une tradition solide et respectée. Jubilatoire.

par Franpi Barriaux // Publié le 25 novembre 2018
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