Chronique

Gábor Gádó & Laurent Blondiau

Veil And Quintessence

Gábor Gádó (g), Laurent Blondiau (tp, flh)

Label / Distribution : BMC Records

Voilà presque cinq ans que l’on avait pas eu de nouvelles de Gábor Gádó. Non qu’on n’en ait l’habitude : déjà plus d’une trentaine de mois avaient passé avant la parution de son album précédent, le fondateur Lung-Gom-Pa. Être rare dans une époque de profusion est parfois une qualité mais l’attente semblait longue, d’autant qu’il est peu probable que le guitariste soit dans ce genre de calcul. Pour étancher notre curiosité, voici Veil And Quintessence, un album tout simple enregistré avec le trompettiste et cornettiste belge Laurent Blondiau. Un duo marqué par une proximité naturelle avec les musiques anciennes pour le Hongrois. Sur le magnifique « Kenpo », on retrouve la sonorité traînante et pleine d’écho de sa guitare, qui habille de contrepoints fluides et lumineux une trompette tout en clarté. Bach n’est pas loin, suggéré, caressé, invoqué parfois comme dans « Little Protestant Jazz Song », incontestable sommet de ce disque.

Car dans sa période d’abstinence discographique, Gádó n’est pour autant pas resté silencieux : un trio jazz avec le fidèle Sébastien Boisseau et Will Guthrie, mais aussi un retour en Hongrie avec le grand pianiste contemporain Barnabás Dukay ont permis à Gádó d’envisager la dualité avec ascétisme. Il était certes déjà de mise, mais il prend avec Blondiau une forme différente, plus proche encore d’une expression classique. Là aussi, c’est le fruit d’une longue réflexion, de la recherche d’une grammaire propre à un compositeur qui citait Schnittke dans une belle collaboration avec Alban Darche. Ces dernières années, Gádó s’est nourri d’expériences, a émacié son jeu et réfléchi sur les liens ténus entre jazz et baroque : une veille. On peut en entendre le résultat dans « Bunan Icon » qui fait référence à un maître du courant Rinzaï au Japon et permet un long échange avec le trompettiste de Mâäk comme s’il s’agissait de cycles, voire de paraboles. Ainsi « Mahler-Strauss Memorial », où la guitare agit comme si elle emmitouflait la trompette dans un tulle électrique, à la fois duveteux et diaphane , révélateur d’une spiritualité qui inonde tout l’album et se cache dans le son si familier du Hongrois : une quintessence…

L’alchimie ne fonctionnerait cependant pas si la relation avec Blondiau n’était si riche et ancienne. On retrouvait déjà le Belge dans l’Unit européen de Gádó, et même si on ne l’attendait peut-être pas sur ce terrain, il tient parfaitement son rôle et s’intègre idéalement à cet univers que l’on aimerait entendre en live dans la nef d’une église. Il propose même des ponts vers son propre univers dans « Ebène » où son jeu rapide oblige le Hongrois à se faire plus incarné et à chercher des basses, absentes dans les autres morceaux. Si certains doutaient encore que la guitare électrique puisse participer à un dialogue baroque, Gábor Gádó finirait de les convaincre avec ce délicieux paradoxe temporel imaginaire dans lequel on se fond volontiers. Un retour gracieux et réussi pour un musicien d’une rare finesse.