Chronique

Transatlantic Five

Transitions

Klaus Kugel (dms), Christian Ramond (b), Christopher Dell (vib), Ken Vandermark (ts, cl), Nate Wooley (tp)

Label / Distribution : Nemu Records

En convoquant un Transatlantic Five au line-up étourdissant, Klaus Kugel ne pouvait pas nier qu’il avait une idée derrière la tête. Si l’on retrouve son fidèle contrebassiste Christian Ramond à ses côtés, les trois autres invités du batteur cochent toutes les cases de l’esthétique dolphyenne : son compatriote allemand Christopher Dell au vibraphone y est évidemment pour beaucoup, mais c’est bien l’alliance étasunienne du trompettiste Nate Wooley et du multianchiste Ken Vandermark qui complète à merveille la couleur, et marque l’orchestre de leur duo éprouvé, souvent télépathique. « Around Town » qui ouvre Transitions est à ce titre un modèle, tant les échanges sont autant de paraphrases et de citations avortées de Out To Lunch, un véritable exercice de style que Klaus Kugel et ses compagnons parviennent à hanter en douceur, sans clin d’œil trop appuyé mais en captant l’essence. À la périphérie.

C’est cette atmosphère qui est développée dans les « transitions » qui suivent, qui sont autant de déconstructions. Dès « Transitions I », éclate la tempétueuse alliance ancienne entre Vandermark et Kugel, qui va nourrir le disque : les deux musiciens ont décidé de s’opposer avec énergie dans une tempête qui ne songe qu’à grossir, et il faut tout le flegme et l’élégance de Christopher Dell, impeccable à l’instrument, pour ramener le calme et même l’éther de « Transitions II » où il s’appuie sur Nate Wooley pour chercher des espaces plus larges et plus nébuleux. Il y a un plaisir de jouer évident dans cet orchestre, qui revient à un propos plus turbulent sur « Transitions IV », sans doute le sommet de l’album ; tout commence par quelques échauffourées entre Dell et un Kugel intenable, maintenu dans les marges par l’application de Ramond à tenir un cadre. C’est un constant feu qui couve, une explosion latente que le duo de soufflants américains viendra libérer d’une coalition colemanienne. Dès lors que Vandermark et Wooley rentrent dans la mêlée, tout est possible, surtout lorsque le trompettiste s’offre une échappée belle.

Le Transatlantic Five ne s’enferme jamais dans une couleur ou dans une célébration compassée, comme en témoigne le bel échange entre Ramond et Dell sur « Transitions V ». Au contraire, dans ce disque paru sur Nemu Records, le label de Kugel, le quintet part de l’héritage de Dolphy pour tisser une toile d’araignée qui tend vers une liberté et une modernité qui ne se discute ni ne se réclame, mais qui se conquiert avec la classe folle qui caractérise ces musiciens.

par Franpi Barriaux // Publié le 1er octobre 2023
P.-S. :