Chronique

Lavollée/Dubreuil/Larmignat Trio

Le Symptôme

Benoît Lavollée (vibes, marimba), Baptiste Dubreuil (Rhodes, Moog, Piano), Nicolas Larmignat (dms), Jacques Dubreuil (fgh, 4)

Label / Distribution : O Jazz

L’univers électrique du trio Lavollée/Dubreuil/Larmignat, sur ce premier album, sonne comme une évidence dès les premières notes de « Vivant », notamment grâce au son de Fender qui illumine en un instant un brouillard fait d’électronique étrange et de polyrythmie fiévreuse. Conduite par le vibraphoniste Benoît Lavollée, ancien élève de Franck Tortiller et de Guillaume de Chassy, lauréat du Concours national Jazz à la Défense en 2010, avec ce trio, mais dans la catégorie soliste, cette formation est soutenue par l’association orléanaise Ô jazz !, qui signe ici sa première production.

L’enchevêtrement des rythmiques multiples et raffinées du batteur Nicolas Larmignat, aperçu chez Rigolus ou au sein du sextet Frasques, et du Fender fulminant de Baptiste Dubreuil construit une matière dense qui se nourrit d’une électricité ambiante presque suffocante (« Minuit »). Elle s’instille dans le jeu très ample de Lavollée, au vibraphone comme au marimba. A cela s’ajoute le remarquable travail sur le son réalisé par Mathieu Pion qui en fait le quatrième membre du trio. Ici les influences vont du jazz très contemporain jusqu’au rock progressif, notamment par le choix de laisser se développer sur la longueur un univers musical en constant chamboulement, pioché chez King Crimson ou Can. Le trio joue de cette densité imposante et de sa perpétuelle expansion. On notera une parenté latente avec certains groupes de la nouvelle génération tel Rocking Chair (où Larmignat tient également la batterie) : même prise en compte minutieuse du son, même volonté de ne se fermer aucune barrière stylistique ; il s’agit d’exprimer au mieux l’image ou la couleur dont l’improvisation libre éclaire l’apparente noirceur, tout en chavirant l’auditeur dans des univers tiers où « Alice », au milieu de son rêve, errerait dans une forêt touffue privée de toute lumière…

« 1884 » s’ouvre sur un très opiniâtre travail sur les basses de la part de Dubreuil au piano. Cet effet de masse va mettre en valeur la précision de ses comparses. Larmignat visite les carnations les plus sombres de ce gouffre texturé de graves tandis que le marimba pénètre dans ce matériau imposant par des attaques successives, tout en circonvolutions… Quand la basse se retire comme la marée après la tempête, c’est le métal du batteur qui signifie la trêve et l’apaisement, presque l’hébétement de trouver un calme contemplatif plein de finesse, encore imprégné d’un volume qui semble prêt à surgir du piano devenu languide.

On retrouve ce sentiment de plénitude fragile avec « Sur le Pé », au centre de l’album, où le bugle de Jacques Dubreuil offre un moment moins pétri de remous sans perdre le caractère onirique qui traverse l’album. Une respiration paisible avant de replonger dans les abysses ? « Oui, peut-être… » apporte une réponse acrimonieuse mais très réjouissante.
Si symptôme il y a, il se traduit par une extrême fébrilité tant la personnalité affirmée de ce jeune trio sourd d’un groove infectieux qui emplit l’espace avec autant de vigueur.
Si symptôme il y a, nous sommes contaminés…