Le parcours discographique de Bojan Z
Henri Texier : An Indian’s Week, Label Bleu, janvier 1993
Rentré en 1992 dans l’Azur Quartet (Glenn Ferris, Tony Rabeson), Bojan Z ne manque pas de s’y faire remarquer, notamment pas son talent d’écriture (première version de « Mashala »). La qualité de toutes les compositions ainsi que la verve du quatuor font de ce disque une pure merveille, malgré la présence de brefs mais ennuyeux intermèdes écrits (le contrebassiste reprendra ce principe, destiné à assurer une illusoire continuité conceptuelle, dans Mad Nomad(s), mais avec un peu plus de bonheur). Il est aussi l’occasion pour notre pianiste bosniaque préféré de jouer avec deux grands improvisateurs de la génération précédente : Louis Sclavis et Michel Portal (ici plus que merveilleux au bandonéon). Signalons enfin la profonde affinité qui semble exister entre les styles des improvisateurs Bojan Z et Texier : une constante recherche de mélodie ne laisse place à aucun effet, ni à aucune manifestation quelconque de virtuosité. Aucun des deux, pour des raisons sans doute différentes, ne se contente du vocabulaire be-bop réglementaire.
Bojan Z Quartet, Label Bleu, décembre 1993
Le premier disque de Bojan Z en leader, évidemment pas le meilleur (on n’est pas devant la révélation rock-marketing de l’année, mais devant un artiste en perpétuelle évolution), mais pourtant beaucoup plus qu’agréable à écouter. Comme le fait gentiment remarquer David Liebman (le producteur - la maison ne recule devant aucun sacrifice, et lui devant aucun plaisir), il s’agit d’un album de groupe, nous y trouvons des compositions de Julien Lourau (débutant avec son Groove Gang, déjà prodigieux) comme de François Merville. Extase, beauté, groove, sauvagerie, joie, tout est déjà là, et en premier lieu les relectures de traditionnels balkaniques (à la fois serbe et bosniaque, on l’aura remarqué en plein conflit yougoslave).
Daniel Casimir : Sound Suggestions, Charlotte Records, 13 avril 1994
Enregistré « live » au laboratoire des Instants Chavirés (le son est lui aussi quelque peu expérimental), cet album solo du tromboniste du premier Groove Gang ne doit pas faire peur à ceux qui détestent le risque ! Le disque hésite entre explorations sonores free-rauque et attrait du rythme sans jamais vraiment trouver son équilibre. La conception même du disque manque de cohérence, d’unité. Que de beaux moments cependant (autant dus à de belles idées de composition qu’à de fougueuses improvisations) ! Centré sur la collaboration Casimir-Lourau, Sound Suggestions est illuminé par les torrides improvisations de la contrebassiste Hélène Labarrière, dont le son est aussi superbe que le swing. Plus rares - ils ne sont présents que sur trois morceaux - Bojan Z et François Merville se déchaînent comme rarement.
Henri Texier : Mad Nomad(s), Label Bleu, septembre/octobre 1995
Un disque dont on ne se lasse vraiment pas depuis sa sortie. L’extrême variété qui le caractérise ne dissimule pas un sentiment qui enveloppe littéralement l’album, une sorte de chaleur, faite d’humanité, de magie et d’attention à l’espace. Mad Nomad(s) réussit également le tour de force de réunir (pour la première et sans doute la dernière fois) huit formidables musiciens : Texier père et fils, Bojan, Lourau, Rabeson mais aussi Noël Akchoté, François Corneloup et Jacques Mahieux. Ce disque, mélodiquement le plus parfait du contrebassiste, comprend les premières versions de « Radio Bo » (repris sur Koreni) et « Entrave » (repris sur Carnet de routes, enregistré la même année par Texier, Sclavis et Aldo Romano) ainsi qu’une reprise du « Happy House » d’Ornette Coleman. A noter enfin un thème d’Akchoté, « Blasted rats », dont Portal s’inspirera pour écrire sa « Mutinerie » (Dockings)
Bojan Z : Yopla !, Label Bleu, décembre 1995
Comme le premier disque, Yopla ! présente une synthèse des diverses formes du jazz contemporain, reflétant ainsi l’intense bouillon de culture qui mijotait à Paris depuis le début de la décennie - et qui donnera les merveilleux disques que nous avons aujourd’hui. Cet album reste néanmoins incontestablement marqué par les conceptions du pianiste bosniaque, dont les progrès en matière de composition et d’arrangement sont remarquables. Les morceaux des autres musiciens du quatuor (excepté celui de Julien Lourau, particulièrement étonnant) paraissent d’ailleurs légèrement en décalage, à tout point de vue. Signalons un hommage à Don Cherry (auteur d’un album nommé Multikulti) ainsi qu’une prise de son tout à fait étrange qui, à côté d’évidentes qualités, a le tort d’enfermer quelque peu les instruments.
Simon Spang-Hanssen Quartet : Instant Blue, Storyville, 21 mars 1997
Il s’agit d’un album de jazz « sixties » très, très classique (structure bien ordonnée, chase en 4/4, thèmes chantables mais pas trop, inspiration rollinso-coltranienne avec un soupçon de Wayne Shorter…) mais néanmoins de très bonne qualité grâce notamment aux improvisations furieuses du leader, aux saxophones ténor et soprano, et à celles, plus fines, mais très incisives, du pianiste (vous-savez-qui). Il est dommage que la frappe de Billy Hart soit si lourde, et que les thèmes ne brillent pas par leur originalité.
Michel Portal : Dockings, Label Bleu, juin 1997
Diversement apprécié à sa sortie à l’automne 1998, ce disque réunissant quatre « jeunes » musiciens (Bojan, Markus Stockhausen, Joey Baron et Bruno Chevillon) ainsi que Steve Swallow autour du clarinettiste-saxophoniste, reste, moins d’un an plus tard, toujours aussi passionnant. Certes, Dockings souffre d’une certaine absence d’unité stylistique (Miles Davis électrique ? nouvelles musiques improvisées ? world-music ?), certes il fait preuve de quelques menues faiblesses du côté de la composition, certes l’improvisation ne se déploie pas autant que l’on voudrait… Mais la qualité des idées musicales place le disque largement au-dessus du tout-venant. Bojan Z, à l’orgue et au piano, joue ici sur la moitié des titres de l’album, mais ne signe que deux improvisations, rythmiquement assez enthousiasmantes - le contrebassiste Bruno Chevillon et le batteur Joey Baron, incroyablement survoltés, y sont sans doute pour beaucoup… Comme en la compagnie d’Henri Texier, le pianiste alterne interventions be-bop, free ou jazz-rock avec une souveraine maîtrise.
Nguyên Lê : Maghreb and friends, Act, novembre 1997 à mars 1998.
Un disque au concept très simple, jazz-rock maghrébovietnamoguinéen, with a touch of slavitude ! On se moque, alors qu’il faudrait admirer le travail magnifique de composition et d’arrangement fourni par le guitariste Lê et le batteur Karim Ziad (Orchestre National de Barbès), leur habileté rythmique diabolique, ou s’extasier devant la diversité de l’instrumentarium (violon, flûte Peul, bendir, kora…) et la justesse du casting, trop impressionnant pour être cité. Sachez seulement que l’on soupçonne certains improvisateurs d’avoir été choisis en raison de leur troublante sonorité et de leur lyrisme (Bojan Z ou Jean-Jacques Avenel, et bien sûr Nguyên Lê…).
Henri Texier : Mosaïc Man, Label Bleu, septembre 1998
Ce qui séduit ici, ce ne sont pas les compositions (toutes intéressantes, mais un peu inférieures aux normes maison), ni même les improvisations (chacun est simplement à son meilleur) mais l’exceptionnel travail qui a été réalisé par les cinq musiciens du groupe (Texier père et fils, Bojan, Rabeson et Ferris) : mise en place, jeu collectif, ambiguïté rythmique binaire/ternaire constante, recherche de l’évidence mélodique… Un des morceaux, « Cap Espérance », atteint dans tous les domaines une ahurissante perfection.
Bojan Z : Koreni, Label Bleu, novembre/décembre 1998
Il ne s’agit pas ici de commenter un disque avec un tant soit peu de recul, mais de faire l’éloge sans nuance du « dernier Bojan Z », ici à la tête d’un octet réuni pour l’occasion (et non plus d’un quartet amélioré). Ce n’est maintenant plus une révolte, mais une révolution, faite dans la joie, et
même la folie ! C’en est fini du sérieux affiché tant bien que mal sur les deux premiers albums. Tous les musiciens (dont l’indéboulonnable Julien Lourau, ainsi que l’habitué Tony Rabeson) s’éclatent comme des fous sur des rythmes plus ou moins incompréhensibles. Bojan Z parcourt comme à son accoutumée la quasi-totalité de l’histoire du jazz (en partant de la case Count Basie !) avec une tranquille majesté. Le répertoire, constitué pour les 3/5 d’originaux
zulfikarpasicesques, atteint des sommets. Bojan Z réussit le pari de dynamiter le jazz par un recours à l’esprit de la danse, sans jamais sacrifier la musique (subtilité et sens de l’expérimentation compris) au dansant folklo-TF1. N’oublions quand même pas de jeter notre verre à la fin du disque.
Bojan Zulfikarpasic : Solobsession, Label Bleu, 2000
Le premier disque en solo. Un chef d’œuvre, qui sonne comme une étape dans la vie du pianiste. La maîtrise de l’instrument est parfaite, il en sollicite toutes les ressources, en fait l’outil orchestral par excellence. Des thèmes, standards Zulfikarpasiens comme Multi don Kulti, à fleur de peau qui
illustrent un état de profonde remise en cause. Quelques thèmes-hommages, coup de chapeau aux aînés, complètent le tableau. Fidèle à sa conception, il s’appuie sur d’énormes basses pour mieux mettre en valeur ses phrases ensorceleuses et vivaces. Cette introspection, étape obligée
de tout musicien, ne se fait pas sans douleur. On ressent une certaine mélancolie… mais la pudeur virile de Bojan la transforme vite en danse, en valse ou en course effrénée.
Bojan Z a également participé aux disques suivants :
- Jacques Bolognési Big Band : Caravansérail, OMD, 1988.
- Vincent Courtois : Turkish Blend, Al Sur, 1992
- Sylvain Beuf : Impro Primo, Big Blue Records, 1993
- Henri Texier : Sarajevo Suite, (un morceau figurant sur une compilation au bénéfice de la ville de Sarajevo) L’empreinte digitale/deux Z, 1994
- Claude Barthélémy : Sereine, Label Bleu, 2001
- Magic Malik : 69/96, Label Bleu, 2001