Le piano (extrême) oriental, dernier épisode
Carnet de route de Stéphane Tsapis au Japon
C’est déjà la dernière partie de la tournée ! Nous partons pour rejoindre l’aéroport de Sapporo direction Tokyo, après un bon petit déjeuner traditionnel préparé par Satoko San. Nous retrouvons Makoto, le père de Maki Nakano qui sera notre conducteur. Yann Pittard nous abandonne à Haneda Airport : il retourne en France pour une série de dates avec Nathan !?, une pièce de théâtre .
- Stéphan Tsapis & Maki Nakano
Quant à nous, nous prenons la direction de Kawaguchiko, un petit village bordant le lac Kawaguchi au pied du Mont Fuji. C’est une nuit de pleine lune et nous sommes sans voix devant ce spectacle grandiose, Fuji San est visible même de nuit !!! Miki San et Junko San seront nos hôtes durant ces deux nuits. Je suis heureux de retrouver ce paradis sur terre…
Le lendemain, nous partons assez tôt. Le temps est printanier et le soleil tape fort. Nous jouerons à 13 heures au festival de jazz de Kawaguchiko dans une vieille bâtisse octogonale qui abrite les concerts. Nous sommes au bord du lac en face du Fuji, c’est le jour de la fête des feuilles d’automne de momiji, ce célèbre érable japonais : de nombreux badauds en extase photographient les feuilles rouges, nous ferons de même assez vite ! Côté musique, les concerts s’enchaînent, et la parfaite organisation permet des balances rapides et efficaces. Le piano Bösendorfer mis à ma disposition est exceptionnel, l’acoustique du lieu est vraiment très agréable et tout le monde est très concentré, car en trio sans Yann Pittard, la musique sera différente. Nous jouerons évidemment « Les Feuilles mortes » en français pour le plus grand plaisir du public, qui nous accueille avec enthousiasme. Le concert terminé, nous partons en voiture au 5è étage du Fuji, à 2300 mètres d’altitude. Un épais brouillard nous enveloppe, un peu plus bas la vue est magnifique. Je retrouve l’énergie particulière de ce volcan vénéré et vénérable…. Mais la journée n’est pas finie ! En arrivant à l’hôtel Mizuno, nous découvrons un public nombreux dans une ambiance tamisée et décontractée. Le piano Yamaha G2 est assez désaccordé mais nous prenons du plaisir à jouer. Un set avec un invité surprise à la guitare, Gaku, un musicien du coin…
Réveil matinal, soleil éclatant, Fuji San dégagé. Une vue de carte postale : nous quittons le cœur serré ce lieu magique, en direction de Shizuoka. Nous nous arrêtons dans une petite bourgade du nom de Mizumiiro (« contemplation de la couleur de l’eau »), en pleine montagne dans une région couverte de champs de thé. Nous jouerons vers 17 heures dans la maison de Sajith Sakamoto, arrivé il y a 15 ans du Sri Lanka. Personnage haut en couleur, chef cuisinier spécialiste de curry, grand amateur de vélo et de musique, il possède une énergie positive incroyable et communicative. C’est une star locale qui fait la une des magazines ; grand sportif, il a fait récemment le trajet jusqu’à Aomori : 800 kilomètres à vélo avec sa jambe de bois ! Le lieu du concert est une maison traditionnelle japonaise avec ses tatamis et ses parois en papier. Ce soir nous attendons 42 personnes, venant aussi bien pour découvrir une musique venue d’ailleurs que manger le bon curry de Sajith ; bientôt l’entrée est couverte de paires de chaussures. Le public très attentif à la musique est assis sur des coussins, le concert sera sûrement notre meilleur de la série malgré le piano électrique un peu étrange.
Nous interprétons « Τα παιδιά της γειτονιά σου » et « Στο πα και το ξαναλέω » avec Cybèle Castoriadis. Nous partageons ensuite 6 currys différents dans une ambiance conviviale. Ryuji, l’ingénieur du son, est aux petits soins pour nous, il a apporté de l’ouzo et du metaxa pour faire plaisir aux Grecs que nous sommes, alors que lui-même ne boit pas une goutte d’alcool… Nous dormirons sur place dans une pièce commune avec Makoto, Maki et Cybèle, au mur une calligraphie représente le mot rêve : « yuumé ». Bon présage.
Après un petit déjeuner sri-lankais, des séances de photo innombrables avec Sajith et quelques petits clip musicaux qu’il nous demande de faire devant sa maison baignée d’une douce chaleur, départ vers Yokkaichi, une ville près de Nagoya. Nous avons juste le temps de poser nos affaires à l’hôtel et nous allons nous installer au restaurant Tavola Calda qui abritera notre concert du soir. Mayumi Ohno a fait venir un Yamaha U3 pour l’occasion : il sonne très bien et annonce le plaisir certain que nous prendrons à jouer pour les convives, juste après le repas. Les spectateurs découvrent notre musique. Nous sommes très impressionnés par la bonne cuisine méditerranéenne préparée par Mayumi, le dîner se finit par de succulents baklavas qui resteront dans les annales ! Pour remercier les cuisiniers et notre hôtesse, je joue « Round Midnight » et « Ugly Beauty » de Monk en solo après la fermeture du restaurant.
Après une visite rapide de Yokkaichi, nous partons pour Nagoya pour une représentation du Piano Oriental dans la galerie Feel Art Zero. Arrivés sur place nous retrouvons la dessinatrice Zeina Abirached, le rétroprojecteur et un très bon Yamaha, transporté pour l’occasion. Grande discussion avec l’accordeuse Michiko San qui veut absolument accorder le piano à l’orientale. Nous décidons de le faire uniquement dans les aigus pour le spectacle et le concert puis sur toute l’étendue du piano après la représentation pour une petite démonstration. De nombreux accordeurs sont venus exprès pour découvrir cela !
Le spectacle se passe dans une très bonne ambiance ; l’auditoire éclate de rire quand Abdallah, mon personnage, parle en japonais pour dire des âneries. La deuxième partie se finira sur une reprise de la chanson égyptienne « Lama bada yatathana » chantée par Cybèle (après quelques conseils de prononciation auprès de Zeina). L’après-concert se passe autour du piano pour faire entendre l’accordage spécial et parler du prototype réalisé par Luc-André Deplasse qui permet de jouer sur un piano « bilingue », oriental et tempéré.
Nous partons assez tôt pour Kyoto. Le concert débutera à 19 heures. Nous sommes tous un peu chamboulés par ce dernier concert ; ce sera l’occasion des remerciements. Cybèle est particulièrement émue ce soir-là : c’est la première fois qu’elle chante dans un Institut Français, et elle se souviendra devant le public que son père Cornelius Castoriadis avait pu fuir la Grèce en 1945 grâce à la bourse d’étude qu’il avait reçue du directeur de l’Institut Français d’Athènes, Octave Merlier. Après le spectacle, nous allons tous manger des yakitori dans un restaurant du coin, avant le retour sur Paris.
On pourrait résumer cette tournée en quelques chiffres : 3 semaines, 12 concerts, 6 avions, 3 îles, 25000 km, 4 voitures, 4 taxis, 8 bus, 4 dessins, trop de bières, 1 milliard de photos et surtout beaucoup d’amis !