Scènes

Le trio Viret et le quintet Aksham jouent à Marciac

Compte rendu des deux concerts à l’Astrada de Marciac, le trio Ivresse de Jean-Philippe Viret et le quintet Aksham avec la chanteuse Elina Duni


© Alice Leclercq

L’Astrada forme un écrin idéal en termes de qualité d’écoute du public pour apprécier la dimension improvisée, la liberté de jeu prise par les deux formations au regard de leurs albums respectifs. De parfaites conditions, en d’autres termes, pour savourer ce qui donne tout son sel au live.

Trio Viret – « Ivresse »

Jean-Philippe Viret – contrebasse, Édouard Ferlet – piano, Fabrice Moreau – batterie.

Ce qui nous marque dans ce concert de sortie en avant-première de l’album Ivresse du Trio Viret, c’est la jubilation de Jean-Philippe Viret, Edouard Ferlet et Fabrice Moreau dans les introductions étirées qu’ils improvisent à chaque morceau. Dès les deux premiers titres, « Entre deux Rêves » puis « Pessoa », la respiration commune et l’élégance de jeu de chacun sont captivantes. Les yeux mi-clos du contrebassiste et du batteur symbolisent pour nous cette écoute mutuelle exacerbée.
Le visage tourné vers le public, une baguette dans une main et frappant à main nue de l’autre, Fabrice Moreau compose une proposition guidée par le ressenti. Entre « A ta place » et « C’est ainsi » interprété tout en félinité, Jean-Philippe Viret glisse au public qu’il fête, avec ce nouveau chapitre, vingt ans de jeu avec Edouard Ferlet et dix ans avec Fabrice Moreau.

Jean-Philippe Viret trio © Alice Leclercq

Non seulement les introductions sont étirées avec le vocabulaire de chacun, mais la set-list de ce concert bouleverse aussi l’ordre d’écoute de l’album enregistré à Montreuil. L’incipit de l’album, « Saint Awawa » - « du nom d’un site d’irréductibles Bretons », nous dit le contrebassiste - advient ici en cinquième position. Ce pic d’intensité, par sa mélodie accrocheuse et son tempo enlevé, se trouve encore densifié par rapport à l’enregistrement par le lyrisme des développements. Composant l’intro de « Contre toute attente » avec le tranchant de sa main droite en aplat glissé sur les cordes de sa contrebasse, le futur sexagénaire précise aussi qu’avant de l’interpréter en trio, il a joué ce morceau il y a deux ans sur cette même scène avec son quatuor du label Mélisse [1]. « Indissociables » – en conclusion du programme – s’enrichit d’un développement percussif commun aux trois artistes, à la batterie, dans les cordes du piano à queue et sur le bois de la contrebasse. Indissociables.

Aksham Quintet

Elina Duni – chant, David Enhco – trompette, Marc Perrenoud – piano, Florent Nisse – contrebasse, Fred Pasqua - batterie

Le lendemain on poursuit dans l’éthéré et l’écoute mutuelle avec le quintet Aksham. Si le concert - quelque peu perturbé par un problème de réglage de son ressenti par la chanteuse helvético-albanaise puis de « canard dans la voix » - ne figurera pas parmi les meilleurs du groupe, il constitue toutefois pour nous un moment suspendu de poésie, où l’on apprécie tout particulièrement l’espace de respiration que nous offre Fred Pasqua à la batterie.
Là aussi, les titres s’enchaînent dans un ordre distinct de celui de l’album sorti en février 2019 sur le label Nome, et les introductions allongées permettent à chacun de créer dans l’instant. Au morceau « XVII », dont la superbe et poignante mélodie s’accroche à un poème de James Joyce, succèdent un premier solo de David Enhco sur « Mon amour imparfait ». Dans cette « formule collective où les cinq composent et arrangent », « L’Automne » s’orne de remarquables solos de Fred Pasqua et Marc Perrenoud. Après « Soleils couchants » introduit par David sur un poème de Verlaine, « Wisdom » offre un espace d’expression à Florent Nisse à la contrebasse, avant « Rondeau » et « Let Us Dive In » qui concluent ce programme d’un jazz vocal intimiste, aérien, impressionniste.

par Alice Leclercq // Publié le 25 août 2019

[1Les idées heureuses, 2017