Chronique

Jean-Philippe Viret Trio

Pour

Jean-Philippe Viret (b), Edouard Ferlet (p), Fabrice Moreau (dms)

Label / Distribution : Melisse

Pour. Le mot tombe comme le plus fugace des éloges, comme une tendre et précise déclaration d’amour à la musique.
Pour. Le mot claque comme une solide et galvanisante intention de donner du sens à la démarche. Il aura fallu Le temps qu’il faut pour que la phrase Indicible laisse planer, suspendue, la possibilité d’une dernière partie.
Le temps qu’il faut pour... quoi d’ailleurs ? rêver ? s’évader ? Ou tout simplement façonner un univers comme l’ébéniste façonne le bois ?
Le gracieux trio du contrebassiste Jean-Philippe Viret [1] apporte via son sixième album [2] un début de réponse en persistant dans une brèche où poésie de l’instant et élégante légèreté sont désormais une marque de fabrique patiemment élaborée.

Sur la pochette de ce Pour, les membres du trio sont superposés, comme pour illustrer l’harmonie homogène et la fluidité naturelle qui permet d’évoluer dans le souffle de l’illusion et le jazz des images. En témoigne l’ouverture alanguie, empreinte d’émotion - « Not Yet » - qui pourrait sortir tout droit d’un film noir. Le raffinement prend une dimension apaisée - voir la très belle « Barge rousse » - dans ces compositions nées sur scène, contrairement aux disques précédents, ce qui souligne encore le relief des teintes « spleen », entre ombre et lumière.

On se réapproprie avec plaisir l’alchimie créatrice qui unit contrebassiste et pianiste (le lyrique Edouard Ferlet [3] et confère au trio une sonorité parsemé de réminiscences chambristes et de bribes de Debussy, de Ravel. Au centre, le batteur fait le lien ; musical et hypnotique, il s’attache davantage à la couleur qu’à la seule rythmique, pourtant subtile. Prenant la suite d’Antoine Banville, Fabrice Moreau [4] - déjà remarqué sur Le temps qu’il faut - apporte beaucoup au disque, et notamment ce sentiment de concorde. Un disque tout entier imprégné par le timbre chaleureux de sa contrebasse, même si Viret, tout en restant aussi féru de jeux de mots, est plus parcimonieux que par le passé. Sur « Page 345 », par exemple, il laisse le champ libre à des discussions tout en astractions entre batteur et pianiste. Mais ailleurs, c’est une libre conversation à trois qui s’impose (« Le Ré grave », où la contrebasse, plus imposante, est magnifiée par la prise de son de Gérard de Haro, qui façonne depuis toujours le son du groupe).

Pour écrit un nouveau chapitre de l’aventure d’amitié qui évolue depuis près de dix ans. Nancy Huston dit joliment dans les notes de pochette que « Le trio, comme le tabouret tripode, est une structure solide » ; la contrebasse de Jean-Philippe Viret doit être faite de ces bois qui rendent les sièges plus robustes.

par Franpi Barriaux // Publié le 18 novembre 2010

[1L’orchestre de contrebasses, Stéphane Grappelli, Emmanuel Bex, Daniel Humair, Simon Goubert…

[2Car Autrement dit (2004), après Étant donnés et Considérations (Sketch), n’est sorti qu’au Japon (Jazz-Sawano).

[3Producteur de Pour et du précédent volume de ce qu’on devine être une trilogie, le pianiste a aussi été leader de plusieurs formations (« Straight Flush », le quintet « Escale », « Zazimut »…), et participé à de nombreux disques, tant en groupe (Filigrane, Plumes, L’Écharpe d’Iris etc) ou en solo (Par tous les temps).

[4Entendu au côté de Guillaume de Chassy, Alexandra Grimal, Pierrick Pedron, Daniel Yvinec… et beaucoup d’artistes de variété.