Léandre par Médioni
Communiqué :
A voix basse, entretiens avec Joelle Leandre
par Franck Medioni [1]
mf Editions
Format : 12 x 18 cm - 160 pages - 10 euros
Parution : février 2008
"Ce livre d’entretiens avec Joëlle Léandre s’est construit au fil du temps, au cours d’une série de rencontres chez elle, à Paris, sur une période de deux ans. Parallèlement, j’ai mené un travail similaire avec le pianiste, chef d’orchestre compositeur et improvisateur Martial Solal. Deux livres d’entretien avec deux musiciens au langage si singulier, qui se sont comme questionnés et répondus l’un l’autre. D’emblée s’est affirmée une parole forte, vive, une pensée en mouvement ample, véloce : Joëlle Léandre telle qu’on la voit, telle qu’on l’entend en concert. Le geste, le temps, l’explosion de l’instant, elle fait partie de ceux (John Coltrane, Cecil Taylor, Steve Lacy, Evan Parker, Daunik Lazro…) qui nous ont fait pleinement prendre conscience de ce que pouvait être l’improvisation, ses (en)jeux, ses géographies intérieures, ses merveilles.
Primauté du jeu, primeur de l’improvisation, confiance absolue dans l’instant, l’instinct, l’autre, refus des préméditations, elle porte loin son désir de musique et de liberté. Ses désirs de musique, inlassablement, elle les poursuit, les harcèle, les rêve. Sa musique laisse entendre l’urgence de l’instantané (son existence ne tient qu’à ce que l’instant présente, comprend et convoque d’avenir, en le précipitant et le désagrégeant), les prises de bec, gestes et méditations d’artistes libres pour qui la musique est bien vivante, se vit avant tout sur le moment, dans la jubilation de l’expression immédiate et souveraine. Oui, l’instant, le présent. Rien d’autre que l’ouverture du présent, enrobée de tout le passé et de tout le futur. Un geste improvisé tout autant que composé. Oui, l’écoute, l’écoute primordiale dans le jeu, la mise en jeu de soi. Et surtout l’immédiateté de la pensée, l’immédiateté à soi, au monde sonore, et à l’autre. Improviser, c’est se trouver entre deux mondes, là où rien n’est certain mais où tout est possible.
Joëlle Léandre en parle magnifiquement bien tout au long de ce livre, l’improvisation, c’est une composition spontanée, mais aussi et surtout une exploration de la matière sonore fondée sur le geste musicien. Un geste qui n’a pas de finalité propre : l’improvisation, acte gratuit et suprême, est dans toute sa massivité d’être ; c’est un état de désir qui improvise dans le temps réel. Composition instantanée donc, musique totale ; vibrations, sons, bruits. Les démarcations qui séparent le son du bruit, comme la musique de la poésie, sont arbitraires. A ce propos, il est utile de relire Cage et de réfléchir sur cette pensée de Varèse : « Il n’y a pas de différence entre le son et le bruit, le bruit étant un son en cours de création. Le bruit est dû à une vibration non périodique, ou à une vibration qui est trop complexe dans sa structure, ou d’une durée trop courte pour être analysée ou comprise par l’oreille. »
Les musiciens de jazz, les improvisateurs sont des personnages sonores. Ils sont leur musique comme ici, d’une certaine façon, Joëlle est sa parole. Totale adéquation entre la pensée, les mots et le geste musicien. La musique est chez elle un work in progress, mouvement permanent, élan vital, recréation perpétuelle donc, un souffle qui échappe à toute codification et claustration. En tant que telle, c’est un moyen de connaissance, de construction de soi autant qu’un exercice de liberté. Joëlle le dit, le répète tout au long de ce livre, c’est une fille du Sud, une femme de passion et de patience, une femme de feu. C’est une musicienne en liberté inconditionnelle, à l’affût, à l’écoute des bruissements du monde, engagée dans la musique d’aujourd’hui, le bel aujourd’hui, sa contemporanéité la plus prégnante. Elle se définit comme une musicienne en vibration, en résistance. « Créer, c’est résister » dit Gilles Deleuze, rappelle-t-elle au cours des entretiens. Libre et rigoureuse, elle brasse et embrase la contrebasse d’un même geste passionné. Ses prestations en solo condensent toutes ses qualités : lyrisme flamboyant, engagement total du corps musicien et irruption des mots, du chant, quand le désir d’expression excède la musique. Elle est musicienne jusqu’au bout de l’archet. D’une certaine façon, ce livre d’entretiens est autant un ouvrage biographique qu’un manifeste poétique. Il y a chez elle une pensée libertaire qui place la construction de soi comme une singularité souveraine. En fait, elle fait partie de cette confrérie d’artistes et autres aventuriers de la vie qui n’ont jamais eu d’autre programme que l’enchantement du jour. Elle conteste, revendique et proteste. Ce sont les propos d’une femme libre. C’est une parole forte, directe, essentielle. Ecoutez-la.
Contrebassiste, improvisatrice et compositrice, Joëlle Léandre est une des figures importantes de la nouvelle musique européenne. Formée à la musique d’orchestre et à la musique contemporaine, elle a joué avec L’Itinéraire, 2e2m et l’ensemble Intercontemporain. John Cage, Giacinto Scelsi et Betsy Jolas ont composé pour elle. Elle a travaillé avec les grands noms du jazz et de l’improvisation, écrit pour la danse, le théâtre. Son rayonnement est international ; ses activités de créatrice et d’interprète l’ont amenée sur les scènes les plus prestigieuses. Elle a enregistré plus d’une centaine de disques." (DR)
A paraître :
"Jazzs
par Pierre Sauvanet & Colas Duflo [2]
« Pierre Sauvanet et Colas Duflo consacrent au jazz un livre à deux voix. Le jazz n’est pas exactement leur domaine universitaire, mais tout simplement leur passion : de musiciens amateurs par ailleurs, et ici de théoriciens professionnels, si l’on peut dire. Le premier écrit un texte, qu’il termine par une question, adressée au second. Le second écrit un autre texte, qu’il termine également par une question, adressée au premier. Ainsi se croisent et se recroisent, en deux séries de dix textes chacun, vingt textes courts, qui abordent chaque fois des grands « thèmes » de jazz : la « musique mouvement », l’histoire du jazz, le style et les styles, le génie et le grand musicien, In A Silent Way, Charlie Parker, jazz et XXe siècle, etc. Jazzs au pluriel, donc, comme l’improbable grammaire française d’un mot américain, comme le nombre binaire des auteurs, comme l’échange qu’ils inventent, comme toutes les sortes de jazz qu’ils évoquent, comme l’envie, enfin, de jouer ensemble en écrivant du jazz. » (DR)