Chronique

Lenny Popkin

Lenny Popkin

Lenny Popkin (ts), Carol Tristano (d), Rich Califano (b).

Label / Distribution : Lifeline Records

Saxophoniste ténor né en 1941 à New York, Lenny Popkin a rencontré Lennie Tristano en 1959, a même joué avec lui dès 1969, et demeure aujourd’hui – ce disque enregistré en 1997 le montre clairement – un de ses élèves les plus intéressants depuis la disparition de Warne Marsh, si l’on excepte Lee Konitz dont le « tristanisme » a dépassé largement le cercle un peu étroit et surtout mal connu des « fidèles » les plus orthodoxes.

Fluidité – on s’en doute – et découpe métrique à la fois logique et pleine de surprises, sont les caractéristiques d’un jeu qui s’est quand même illustré depuis quarante ans par quelques très beaux enregistrements, entre autres aux côtés de Connie Crothers, pianiste désignée depuis toujours par le maître comme l’une de ses plus brillantes disciples. Les dix pièces gravées ici, dont neuf sont signées par Lenny Popkin, sont le plus souvent construites sur les harmonies de standards connus, selon un procédé cher à Lennie Tristano, et repris d’ailleurs aux « boppers », qui en avaient fait l’un des fondements de leur invention thématique.

Si « I Surrender Dear » est explicitement joué sous ce titre, on reconnaîtra par exemple sans peine « Out Of Nowhere » derrière le thème nommé « Soft Walk ». Proche de Warne Marsh dans la sonorité et la découpe, Lenny Popkin s’en démarque par un recours très systématique au registre le plus aigu de l’instrument, et par une sorte d’aura mystérieuse et lunaire dans la sonorité, qui tend à le rapprocher de Lee Konitz dans les meilleurs moments, ici par exemple les deux morceaux en tempo lent, « Ballad » et « Formation ». Cette dernière pièce, de forme très libre, rappelle les célèbres « Intuition » et « Digression » du 16 mai 1949 (Lennie Tristano Sextet, avec Lee Konitz et Warne Marsh), considérés comme moments fondateurs dans le processus qui devait conduire le jazz vers la recherche de formes de plus en plus libérées de toute contrainte thématique, mélodique, voire harmonique.

Rich Califano et Carol Tristano (la fille de Lennie) apportent le soutien régulier et attentif que l’auteur du « Requiem » (à la mémoire de Charlie Parker) désespérait, vers la fin de sa vie, pouvoir trouver encore auprès d’instrumentistes dont il déplorait l’excessive mise en avant, batteurs bruyants et contrebassistes en solo permanent. Pourtant le reproche qui lui fut souvent fait, d’avoir une conception métronomique du tempo, ne tient pas lorsqu’on connaît ses rythmiciens favoris, Max Roach et Philly Joe Jones par exemple. Il faut écouter en ce sens le jeu de Carol Tristano, qui peut sembler raide et simpliste à première écoute mais se révèle en définitive riche de discrètes relances sur la caisse claire.

Au total un disque bien venu avant la prestation attendue du saxophoniste au festival Banlieues Bleues (le 21 mars à Pantin, en première partie de Patricia Barber, et dans la formation du présent enregistrement). Décidément, avec Lee Konitz dont on ne discute plus la place de premier altiste vivant, et après l’hommage rendu à Tristano par François Raulin et Stéphan Oliva, l’heure est venue de faire plus que se souvenir du pianiste aveugle, ami de Charlie Parker, théoricien et enseignant de premier ordre et responsable de toute une tradition de la musique improvisée afro-américaine.