Chronique

Les Enfants d’Icare

Après le déluge

Boris Lamérand (vln), Antoine Delprat (vln), Olive Perrusson (vla), Octavio Angarita (cello), Loïs Le Van (voc), Léa Castro (voc)

Label / Distribution : Auto Productions

Boris Lamérand est fan de science-fiction. Ça ne nous avance pas à grand-chose concernant Après le déluge, qui a pris comme théâtre d’opération les Illuminations d’Arthur Rimbaud, mais ça démontre pour le compositeur et chef de bande une belle ouverture d’esprit : entre son duo demain les chiens (Clifford D. Simack, 1952) et ce bel orchestre à cordes qu’est Les Enfants d’Icare (Arthur C. Clarke, 1953), tout est question de transformations et d’imaginaires. Un terrain idéal qui offre au quartet un espace infini pour accueillir les mots de Rimbaud ; écoutons « Aube » où l’alto d’Olive Perrusson introduit l’étrangeté et le doute dans le dialogue entre le violon de Lamérand et le violoncelle d’Octavio Angarita pour percevoir toute la dimension contemplative qui prend son essor plus loin, dans le « Enfance III-au bois », composé par l’autre violoniste, Antoine Delprat.

On se souvient du travail des Enfants d’Icare avec le Theorem of Joy, et de la façon que le quartet avait habité le projet de Thomas Julienne. Ici, même si la musique est celle de Lamérand et ses camarades, c’est le chanteur Loïs Le Van qui se saisit des mots de Rimbaud et habite le texte et ses couleurs. Le timbre si particulier du chanteur, à la fois très précis et nonchalant convient à merveille à ce texte dont l’interprétation confine souvent au sprechgesang, à l’instar de « Génie » qui ouvre l’album avec un goût certain pour l’insouciance. Comme dans tous les textes de Rimbaud, il y a entre la précision des épithètes et les libertés métriques tout une place pour l’entropie, et c’est dans cette large clairière que s’invite Le Van et Léa Castro, dont la tessiture d’altiste est parfaite pour ouvrir tous les possibles (« Démocratie »).

Ce dernier morceau est indéniablement le sommet de cet album. D’abord parce que la rigueur rythmique du quartet, vantée dans son précédent album, est encore au rendez-vous, notamment grâce au travail de Perrusson. Ensuite parce que l’alliance entre Le Van et Castro est magnifique, et évoque le travail d’Archimusic dans cette capacité à transcender un vocabulaire qui prend racine dans la musique écrite occidentale. Ce qui perdure dans Après le déluge, c’est cette capacité à se montrer espiègle et turbulent jusqu’à la dernière note, jusqu’au « Mystique » où les nappes minimalistes sont menées par le violoncelle. La fin d’un cycle ? Le titre original des Enfants d’Icare de Clarke est Childhood’s End [1]. Mais cet orchestre-là n’a pas fini de jouer.

par Franpi Barriaux // Publié le 5 janvier 2025
P.-S. :

[1La fin de l’enfance, NDLR.