Sur la platine

István Grencsó : petites formes en grande forme

István Grencsó retrouve de vieux compagnons en duo et en trio


Héraut du jazz hongrois, le multianchiste István Grencsó se plaît avant tout dans les rencontres, au sein de la scène hongroise mais aussi au-delà des continents, avec une prédilection pour tout ce qui se trame du côté de Chicago[Voir notre Interview. Deux disques récents illustrent ce chemin, en petite formation et en compagnie de compagnons fidèles, que ce soit Ken Vandermark ou le percussionniste Szilveszter Miklós, un cacique de son très ancien Kollektiva.

La rencontre la plus récente est Ken Vandermark, pour le label BMC. Do Not Slam The Door occupe le terrain où Grencsó est le plus à l’aise, entouré d’un Kollektiva en version quintet avec Szilveszter Miklós ainsi que le contrebassiste Robert Benkö. On retrouve ce dernier dans Burning River, Melting Sea, où il se place au centre des deux soufflants qui utilisent chacun un canal - à droite Vandermark, à gauche Grencsó. Paradoxalement, alors que les saxophonistes ont la réputation d’être assez cogneurs, cette disposition avec une contrebasse sèche et lourde au centre révèle une certaine quiétude, ou plutôt un douce intranquillité, comme sur « Rise Lonesome » où Grencsó, telle une vague, ridule la surface plane d’une eau qui ne demande qu’à s’agiter. Ce dont se charge Vandermark, dont le son grossit à mesure que la contrebasse durcit le ton.

On est surpris, dans « Engarian-Hunglish » par la complicité qui anime Vandermark et le Hongrois. Voici seulement deux ans qu’ils jouent ensemble, mais la cristallisation est instantanée, et placée sous l’égide de György Szabados, référence commune. Ce morceau est un furieux mélange écrit par Grencsó, instant de concorde aux airs de musique de chambre contemporaine, avec cette homorythmie qui se décale imperceptiblement, et cette clarinette basse puissante qui bouscule tout sur son passage avant de revenir au point de départ. On retrouvera cette sensation dans « Ode to Women » où ils parlent d’une même voix, avec une douceur qui a réussi à s’affranchir de la rage à laquelle on pourrait s’attendre. Enregistré en janvier 2020, Burning River Melting Sea devait se poursuivre par une tournée en 2021. Sans le savoir, « Object 2020 » a la langueur propre à cette étrange année.

Gremi est différent. La camaraderie avec Szilveszter Miklós est plus ancienne, et l’on se souvient dans DGSM à quel point elle était inébranlable. Le duo est une forme nouvelle pour ces musiciens, mais ils se trouvent immédiatement, et s’inscrivent volontairement, presque nécessairement, dans la vieille tradition des duos saxophone/batterie. Au ténor, le son de Grencsó est clair, puissant, très chaleureux sur « Cut I » que Miklós souligne de quelques effleurements de tambour, avant de faire résonner les peaux sur « Cut II-Dozer » où les rôles s’inversent : Grencsó vient prendre le relais au milieu du morceau, les secousses telluriques du saxophone s’installent à mesure que les cymbales prennent le pas sur les peaux. On découvre chez Grencsó une urgence toute coltranienne, dans des morceaux courts qui tranchent avec le jeu plus émacié qu’il développait avec Vandermark. Miklós confirme, dans le magnifique « Cut IV », plus déstructuré dans sa forme, à quel point il est à l’écoute de son comparse, amateur des virgules et des ponctuations qui viennent ombrer et donner du relief à une vieille amitié qui s’exprime ici au grand jour.