Chronique

Les Etrangers familiers

Un salut à Georges Brassens

Denis Charolles (dm, voc, g, arrosoir, percutterie, gravier et d’autres trucs...), Loïc Lantoine (voc), Eric Lareine (voc), Joe Doherty (g, banjo, vln, fl), Julien Eil (bcl, bs, synth, fl), Alexandre Authelain (ts, cl, synth), François Pierron (b)

Label / Distribution : Labelouïe

Le spectacle Les Étrangers familiers restera, pour ceux qui ont eu la chance d’y assister, un des plus sensationnels de l’année 2009 en matière de chanson et de jazz hexagonal. La tournée se poursuit en 2010 avec comme point fort le concert de sortie de l’album les 25 et 26 janvier 2010 à L’Européen (Paris).

L’alchimie réalisée par la Campagnie des Musiques à Ouïr et ses invités autour des chansons de Georges Brassens fait partie des revisitations réussies de l’œuvre. Le batteur Denis Charolles y perpétue l’esprit libertaire inhérent aussi bien au taciturne Sétois qu’à la Campagnie. Le moustachu aimait le jazz comme il chérissait la Liberté et l’irrévérence. Certains « hommages » troussés par quelques producteurs avides lui auront certainement fait faire quelques loopings dans sa tombe, mais le double album touffu de ces « étrangers familiers » méritent que sa croix s’y penche un petit peu. Car Charolles et ses comparses ont trouvé chez lui une expression à leur mesure, mélangeant, pour habiller ses textes, les musiques populaires et la poésie sur fond de jazz cabossé ou de blues corrodé. On y ajoutera les relents de musiques traditionnelles irlandaises instillés par Joe Doherty. Ce dernier, invité désormais régulier, ferait un excellent permanent au sein de la Campagnie, tant par sa facilité à passer du violon au saxophone et de la guitare à la flûte que par la légèreté poétique qui semble étreindre chacune de ses interventions.

Dans cette appropriation des mots du poète, les vêtements nouveaux ne jurent pas. Si Georges s’éloigne parfois de son arbre - ajoutant ici un soupçon d’émotion brute, là le vertige d’un éclat de rire - ces étrangers familiers ne le forcent jamais à jeter sa vieille pipe en bois. La chanson plus qu’abstraite (et sans paroles) où il est question d’amoureux de bancs devenus « pudiques » rappelle, dans un jeu de timbres entre les clarinettistes Julien Eil et Alexandre Authelain, que la simplicité est l’ultime raffinement. Félicitons Charolles d’avoir intégré dans sa Campagnie ces deux multi-anchistes si complémentaires : ils fournissent une assise nécessaire à l’univers foutraque de sa percutterie. Mieux, ils entrainent les Musiques à Ouïr dans de nouveaux chemins de traverses pleins de surprises.

Côté chanson, Eric Lareine ou Loïc Lantoine se partagent les rôles tandis que Doherty fait visiter Dublin à cette garce de « Marinette ». Charolles lui-même pousse une chansonnette écorchée, avec le ténor déchirant d’Authelain, dans le blues nonchalant d’« Au bois de mon coeur ». Chacun apporte son atmosphère peronnelle. Les pierres lunaires charriées par la voix magnifique de Lantoine transportent le corsage de Margot dans la profondeur de la clarinette basse d’Eil, en forme de tramontane bouleversante. Lareine introduit une touche d’insolence et d’humour teintés de respect, mais aussi une pointe latine dans « La Juana » ou « Il suffit de passer le pont »... La rencontre de la Campagnie avec ces deux chanteurs est sans doute la meilleure chose qui soit arrivée à Charolles depuis l’escapade zoulou et son  !Rendez-Vous ? avec Heavy Spirit [1], et il est plus qu’évident que la réciproque est vraie...

« Les Passantes » est peut être le symbole de cette atmosphère particulière où prédomine le sentiment d’un alliage réussi entre jazz et chanson servant main dans la main le même propos ; la contrebasse assagie de François Pierron installe une nonchalance que la voix blanche d’Eric Lareine étreint pendant que la clarinette basse de Julien Eil semble caresser des blessures mélancoliques. Celles-ci seront ravivés par la clôture, en épitaphe, de la procession suivant le cercueil du « vieux Léon » comme un hymne à l’amitié, comme un hymne aux étrangers, si familiers.

par Franpi Barriaux // Publié le 23 janvier 2010

[1En 2003, la Campagnie des Musiques à Ouïr, suite à une tournée en Afrique Australe, invitait le trio d’Afrique du Sud Heavy Spirit à se produire avec elle en Europe. Cela a donné un disque,  !Rendez-Vous ?, paru en 2004 chez Label Ouïe.