Chronique

Omri Ziegele & Yves Theiler

Inside Innocence

Omri Ziegele (as, voc), Yves Theiler (p)

Label / Distribution : Intakt Records

Saxophoniste suisse, fondateur du collectif Billiger Bauer qui nourrit la scène zurichoise depuis plusieurs décennies, Omri Ziegele fait partie de ces musiciens discrets qui n’aiment rien mieux que les collaborations au long cours. Partenaire privilégié de la pianiste Irène Schweizer, avec qui il a enregistré Where’s Africa en duo en 2005, on a pu le voir également au côté des saxophonistes Urs Leimgruber et Hans Koch au sein du Schweizer Holz trio, tous deux enregistrés sur Intakt Records. C’est également sur ce label qu’on retrouve cet Inside Innocence. Sa rencontre avec le très jeune pianiste suisse Yves Theiler, qui a tout d’abord remplacé Schweizer au sein d’un trio où l’on retrouve également le batteur sud-africain Makaya Ntschoko, lui a permis de faire évoluer son jeu jusqu’à ce duo intimiste.

Habitué d’un jeu assez dur où il sait même donner de la voix, comme au sein de sa formation Noisy Minority, Ziegele a trouvé dans le jeu très percussif de Theiler un moyen de se laisser aller à un lyrisme souvent très aérien. C’est le cas de « Listen To The Poet », où les deux solistes se frottent à des formes très abstraites ; bien sûr, on retrouve dans « Broken Dreams » le chant sulfureux d’un spoken word incandescent sous-tendu d’ostinatos entremêlés, mais cette pétulante énergie est vite réinvestie dans un propos plus complexe et plus poétique. On perçoit chez cet ancien disciple de Chris Biscoe une connaissance très pointue des musiques écrites occidentales qui lui permet, avec son pianiste virtuose, de donner de relief au plus frugal des blues (« Home Is Where My Heart Grows Loud »).

Tout au long de cet Inside Innocence qui consacre une complicité intergénérationnelle autour des fondamentaux d’un jazz farouche, Ziegele tend vers l’essentiel, toujours plus de simplicité. Ainsi, le très beau « Red Rose Speak », qui rend grâce au timbre chaleureux et légèrement sablonneux de l’alto, ressemble au premier abord à une ballade sans aspérités. Mais dans le cœur même des basses du piano, on décèle bientôt des zones d’ombres grandissantes, des complexités soudaines et des bouillonnements qui font glisser la musique dans une certaine urgence. C’est dans ce registre que le duo trouve sa meilleure expression. Cette poésie ombrageuse demande beaucoup de temps et d’attention, mais fait danser le duo avec beaucoup de verve.