L’album précédent de l’orchestre du pianiste Grégoire Létouvet, Les Rugissants, se nommait D’humain et d’animal, affichant une dichotomie qu’on retrouvait dans la musique de ce grand format, c’est-à-dire un mélange tout particulier entre raffinement et spontanéité, pour y trouver, paradoxalement une forme d’équilibre. C’est tout le sujet de « Primal », le morceau d’ouverture, où la contrebasse d’Alexandre Perrot répond à la batterie de Jean-Baptiste Paliès avant que la douce clarinette basse de Corentin Giniaux ne prenne le relais pour lancer la belle passementerie des soufflants. Ce morceau a une douceur liminaire qui ne cesse d’enfler, à la manière de cette oxymore que nous connaissons tous, la colère apaisante. Le Rhodes de Letouvet souligne les contrepoints brillants d’une musique très écrite, mais brute néanmoins.
Le Cri annonce tout de suite la couleur. Quelle que soit sa nature, de « Primal » ou suffisamment puissant pour atteindre la « Fission », c’est à la fois l’intensité des tuttis où brille la trompette de Léo Jeannet comme la boucle infini du Rhodes, pas éloigné de ce qu’on peut entendre chez Jozef Dumoulin, qui évoque une insistance voire une urgence. Une manière de chaos dirigé et luxueux où le trombone de Jules Boittin comme le saxophone baryton de Raphaël Herlem sont les agents d’une entropie qui peut amener à glisser une phrase de Mozart dans ce joli bazar. Ailleurs, avec « Sauvages », on change d’atmosphère, avec une approche plus abstraite dans la flûte de Thibaud Merle qui offre un voyage onirique où Létouvet se charge de ponctuer l’effort collectif de quelques clusters qui se transforment en une transverse qui somme à de nouvelles urgences.
Le Cri de Létouvet est une mèche lente, une colère qui ne va jamais volontairement vers le désordre mais garde un caractère bien sauvage, toujours animé par une forme de poésie écorchée dans laquelle l’orchestre se retrouve tout à fait. La direction du pianiste est souple et fluide, et consacre un excellent compositeur qui sait aussi laisser la main. À ce titre, « Mânes » de Léo Jeannet, où piano et contrebasse proposent un ton plus acide est un parfait exemple. Létouvet et ses Rugissants font partie de cette famille de jeunes musiciens de jazz qui croit ferme aux orchestres en grand format, membres d’une fédération dans laquelle ils s’impliquent. Le pianiste en est même un des illustres acteurs.