Adlib-tv, festival en canapé
Streaming luxueux et cercles vertueux
Ad Lib, ad libitum, à volonté. C’est vrai que durant deux mois et demi, et jusqu’à ce que l’enfourchement du tigre s’ensuive, on a été bien sevré. Pas des charmes de l’alcool, mais de la joie des soirées de concert, avec de la musique en vrai et des musiciens incarnés. Et pendant que des géants comme Nextflix faisaient dans le cliché cloche avec des séries sur le jazz disneyland, une poignée de musiciens parisiens réunissaient leurs savoirs pour nous offrir du streaming luxueux et des cercles vertueux, disponible à tout moment et rémunérateur de talents.
Voici adlib-tv.com, site fait de nécessité, appelé à durer : ces musiciens-là, il est des villes où on ne les voit pas, confinement ou non. Alors le jeudi à 19h est devenu un rendez-vous obligé, et sans doute pour longtemps. Et si on se faisait un festival en canapé ?
Le site est né d’un besoin. De jouer, de vivre, de montrer ce qu’on sait faire. Né dans la génération du multitâche, les artistes du collectif informel adlib savent faire de la musique (c’est un peu la base), filmer, monter, sonoriser et éditorialiser, utiliser Le Nouveau Prétexte à Fontenay-sous-Bois. De Ellinoa à Grégoire Létouvet, de Julien Soro à Enzo Carniel, ils sont nombreux à s’être lancés dans l’aventure et à nous proposer depuis trois semaines des concerts de qualité, tant au niveau de l’image que de la prestation scénique. Petit retour entre deux zakouskis.
- Saräb - Copie d’Ecran
La première semaine, c’est Saräb qui nous a accueillis, et la surprise est totale pour ceux qui ne connaissaient le sextet qui définit sa musique comme du jazz-rock syrien. D’abord par la voix de la chanteuse Climène Zarkan, qui se marie à merveille avec le trombone de Robinson Khoury, déjà entendu chez Fred Pallem, d’autant plus que ce dernier chante. C’est vrai que ça chauffe, Saräb, avec la basse bien lourde de Timothée Robert ; la révolte est présente, elle s’entoure de poésie et d’une certaine nostalgie. La personnalité de la chanteuse est assez magnétique, et les musiciens autour d’elle savent la mettre très en avant. La première rencontre d’AdLib pouvait sembler un peu pop, elle est touffue et hérissée d’épines, comme une rose que l’on cueillerait à volonté.
Des fois ça a du bon, le confinement.
Le Hot Sugar Band est typiquement ce qui fait florès sur les sites de streaming : on n’avait pas prévu de voir ce genre de programme, mais on regarde quand même et on est bien content. Le clarinettiste Corentin Giniaux est à l’origine d’AdLib-Tv et on ne peut que le remercier pour ces programmes. Il faut rendre grâce à ce groupe joyeux qui redonne goût à la musique populaire et de danse des années 30. Giniaux fait partie des Rugissants de Létouvet, et sa musique ne ronronne pas, elle griffe joliment, surtout avec Nicolle Rochelle qui chante en invitée avec Jean-Philippe Scali à l’alto et un remarquable Jonathan Gomis à la batterie. C’est joyeux et pour tout dire, on en reprendrait bien une tasse, de ce Hot Sugar !
- Hot Sugar Band & Nicolle Rochelle - Capture d’écran
House of Echo impressionnait en disque, il faisait voler à force d’être planant. Les sons concoctés par Enzo Carniel au piano et Marc-Antoine Perrio à la guitare, repérés à juste titre par Jazz Migrations, passent à l’aise la frontière de la scène. Percluse d’électricité et d’électronique, la guitare nous fait l’effet d’un alcalin puissant qui se diffuse d’autant plus facilement que la batterie d’Ariel Tessier est un fameux accélérateur. Le piano, lui, moutonne ; il s’évade, s’évapore comme une flaque après l’ondée sous un soleil caniculaire. Le jeu de Carniel nous emmène où il veut, avec toutes sortes de préparations ou sur les ailes de la contrebasse de Simon Tailleu. House of Echo, c’est de la musique à fleur de peau, qui se traduit idéalement en image. Ça tombe bien, ces dernières sont très belles, grâce au savoir d’AdLib-TV.
Dans les prochaines semaines ou d’ores et déjà, et pour le prix d’un abonnement en streaming, vous pourrez apprécier Sweet Dog de Soro, Jarret et Tessier, et le nouveau programme Ophelia d’Ellinoa (18/06) ou encore le Funk d’Echoes Of… De quoi transformer son canapé en un joli club [1]. Sans le papy à moitié injurieux qui tente de vous rappeler que c’était mieux avant en crachotant dans votre bière. Des fois ça a du bon, le confinement.