Chronique

Das Röte Gras

Zipotam

Karsten Hochapfel (g, bj, cello, p, voc) A. Salles (fl), S. Hélary (afl, fl, voc), D. Glatzel (ts, cl, p, voc) Nicolas Cambon (tp, pichotte), Mathias Götz (tb), B. Schaefer (b), G. Hahn (dm)

Label / Distribution : Meta Records / Socadisc

Zipotam s’ouvre dans la soyeuse délicatesse d’un Bach dont les arrangements se seraient égarés chez Ellington pour une liaison sans suite. Comme un symbole gracile et insouciant de ces « galanteries françaises » transfigurées par un compositeur allemand, le Das Röte Gras de Karsten Hochapfel, remarquable guitariste et violoncelliste, s’est construit à Paris avec des musiciens allemands et français. Ce jeune octet témoigne d’une effervescence et d’un attrait pour la diversité des influences et la richesse de l’altérité fondatrice qui n’est pas sans rappeler l’universalité féconde du Surnatural Orchestra.

D’ailleurs, on y retrouve notamment la brillante Sylvaine Hélary, efficace comme à son habitude lorsqu’il s’agit d’insuffler une poésie pastel dans des compositions fraîches et piquantes, tel le nostalgique « Tous les éléphants vont à l’école » qui clôt l’album comme on referme un livre d’images. Elle partage ses flûtes avec Adeline Salles, qui intervient sur les deux morceaux de Bach (« Bourrée », « Menuet ») auquel Hochapfel fait subir quelques jubilatoires transfigurations : en mêlant les influences primesautières de fanfares déglinguées, et les savantes abstractions de cuivres, il donnent à Bach les couleurs vives d’une musique libre et lumineuse, gentiment bousculée par une volonté spontanée d’embrasser toutes les musiques avec une candeur enfantine, joueuse et joyeuse.

Parmi les comparses allemands d’Hochapfel, notons avec intérêt la présence de l’élégant Daniel Glatzel, habitué des grands ensembles et des compositions soignées avec son AMEO [1]. Son jeu de ténor, qui sait aussi bien être acidulé que râpeux et agressif, trouve chez le tromboniste Mathias Götz un compagnon idéal lorsqu’il s’agit d’échauffer les généreuses compositions du guitariste (« Salsatanik »).

La musique, soutenue par la base rythmique discrète mais efficace de Benny Schaeffer à la basse et du très coloriste Gabriel Hahn à la batterie s’illustre principalement par un travail très recherché sur les arrangements de cuivres. La profondeur apportée par le duo Glatzel/Götz, auquel s’ajoute le trompettiste et « pichottiste » [2] Nicolas Cambon, compositeur de « Zipotam », offre une large palette d’expression. Cela permet à Hochapfel de faire tour à tour tonner un solo de guitare incisif sur le nerveux « Bajao » et de laisser planer une nostalgie de violoncelle sur « L’étang de Pissevache », où viennent manifestement paître de doucereux souvenirs…

Das Röte Gras, « L’herbe rouge », est, à l’instar du roman de Boris Vian, un voyage nostalgique et iconoclaste vers des souvenirs d’enfance ténus et parfois fantasmés qui s’abandonnent en effluves, au fil des idées et clins d’œil. C’est cette innocence, cette continuité ludique entre différents thèmes, cette harmonie sucrée et intimiste, qui font de Zipotam un album passionnant. Une petite mécanique poétique de précision à faire rougir l’herbe et les Panassié de toutes époques. Boris Vian, encore et déjà…

par Franpi Barriaux // Publié le 13 juillet 2010

[1Glatzel est le leader du big band Andromeda Mega Express Orchestra, dont nous avions parlé il y a peu à l’occasion de la sortie de Take Off ! Ce jeune saxophoniste d’origine coréenne est par ailleurs membre du JazzKollectiv de Berlin, impliqué dans le collectif européen Zoom !

[2La Pichotte est un saxhorn alto en mi bémol dont une savoureuse description est disponible ici