Chronique

Joëlle Léandre & Phil Minton

Léandre-Minton

Joëlle Léandre (b, voc), Phil Minton (voc)

Label / Distribution : FOU Records

Inviter des phénomènes comme le chanteur Phil Minton et la contrebassiste Joëlle Léandre dans son salon témoigne d’un goût pour le périlleux. Certes, le 19 rue Paul Fort en a vu d’autres, et des incontrôlables encore… Mais ceux-là sont du genre à convoquer les éléments. D’autant que le résultat est imprévisible - du moins encore plus que d’habitude puisque, étonnamment, ces figures ont eu peu de fois l’occasion de se croiser, et encore moins sur un support enregistré. A notre connaissance, ce disque paru sur le label Fou Records et sobrement nommé Léandre-Minton est le premier dans cette configuration. Il est donc précieux, à plus d’un titre : deux univers se rencontrent et en dépit des différences d’histoire, de collaborations et de tessiture vocale, ils bouillonnent comme un magma créatif. Ce sont les éléments qu’on convoque lorsqu’on écoute « Si, Lence », le premier morceau de plus d’une demi-heure. Le flux, la rocaille… Les séismes chamboulent, tout en étant à la fois inéluctables et à peine perceptibles. L’échange est tellurique et vivant.

Minton retrouve son univers dans les profondeurs de l’archet de Léandre ; il chuinte, renâcle, fluctue tous les bruits de gorge possible pendant qu’elle cherche les sédiments au creux des infrabasses. Le silence est présent, pesant. Il s’insinue partout et sert de chambre d’écho aux fulgurances. Même lorsque la contrebassiste vient vocaliser, il reste tranchant comme une lame. Il pénètre littéralement l’échange entre les improvisateurs. C’est un bloc qu’ils s’ingénient à sculpter, à limer, à éroder sans parvenir à lui retirer son aspect massif. C’est dans « Is », le second morceau bien plus court, que l’oeuvre prend forme. Après avoir laissé s’échapper quelques trilles d’oiseau de passage, Léandre reprend sa basse pour claquer une rythmique qui s’emballe aussi spontanément que le babil de Minton.

Le temps et l’espace sont vaincus, à force d’insistance. Sur un terrain devenu commun, le duo peut dessiner un univers à sa main, à la fois drôle et grave, un équilibre précaire(« Blu, ish »). Le paysage rêvé de Joëlle Léandre et Phil Minton, c’est celui qui illustre la pochette : une vague qui se fracasse sur un rocher. Un panache à la fois fragile et inexorable qui grouille de vie et façonne les minéraux .Il faut de nouveau remercier Jean-Marc Foussat de partager ainsi ses archives (cet enregistrement date d’octobre 2016) pour documenter le parcours des acteurs de la musique improvisée.