Chronique

Space

Embrace The Space

Lisa Ullén (p), Lisa Bergman (b), Anna Lund (d)

Label / Distribution : Relative Pitch

Apprécié en 2022 dans un disque dont le groupe porte désormais le nom, Space était une sacrée plongée dans la fine fleur de la scène scandinave. Porté par la pianiste Lisa Ullén, au jeu puissant et souvent colérique, le trio composé par ailleurs de la contrebassiste Elsa Bergman et de la batteuse Anna Lund revient avec un second album qui use des mêmes dynamiques avec ce piano très en avant et une batterie taciturne mais diablement constructrice pour accompagner le flot ininterrompu entendu dans « Rage » où tout semble une course de vitesse. Bergman joue avec un feu savamment entretenu, entre ostinati puissants et rafales de batterie. Tout pourrait évoquer un power trio musculeux et dévastateur, mais ce n’est pas la direction voulue par l’orchestre : il préfère mobiliser la tension et la nervosité d’une musique qui ne s’oppose pas individuellement mais recherche au contraire la concorde pour s’affirmer davantage.

Dans cette fébrilité ambiante, il est au centre de l’album une plage plus paisible qui s’offre le temps long à partir d’une prise de parole tortueuse de la contrebasse. Lisa Ullén s’enroule autour de son jeu percussif et complexe, évoquant par instant les ruptures de Cecil Taylor. Le vent qui naît de cet échange se fait portant. Anna Lund s’y engouffre, développant de multiples ruses coloristes pour faire gonfler le débit d’un trio que nul n’arrête. Cette vague inéluctable va se calmer sans rien perdre de son énergie, reprise par les trouvailles percussives de la batterie, proche d’un minimalisme machinal que va échauffer un archet devenu nappe vertigineuse. Ullén n’a cependant pas dit son dernier mot : lorsqu’elle reprend le dessus d’une main gauche surpuissante, la contrebasse devient plus souterraine, et le trio part dans une nouvelle direction.

Il y a, et c’est naturel, beaucoup d’espace dans Space. Embrace the Space, cet intense nouvel album toujours édité par Relative Pitch, est une invitation à s’égarer dans un monde ouvert et empli de reliefs heurtés que les trois musiciennes gravissent avec une facilité déconcertante. Ce qui réjouit ici, c’est la forte complicité des musiciennes, et l’approche collective d’un trio très égalitaire, pleinement dédié à l’énergie. Un beau témoignage de la vivacité de la musique improvisée nordique.

par Franpi Barriaux // Publié le 25 août 2024
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