Chronique

Louise Jallu

Piazzolla 2021

Louise Jallu (bando, arr.), Mathias Lévy (vl, g), Marc Benham (p, elp), Alexandre Parrot (b)

Label / Distribution : Klarthe Records

La jeune bandonéiste Louise Jallu en a… du toupet !
Sublimer le legs du Maître du Tango Astor Piazzolla, dont on est censé commémorer le centenaire de la naissance en 2021, à vingt-six ans à peine, c’est se coltiner un patrimoine marqué à la culotte par un académisme patriarcal souvent absurde et cruel. Aussi a-t-elle décidé d’infliger au répertoire retenu un traitement dévolu aux standards de jazz dans une approche résolument contemporaine.

Ainsi de la déconstruction de « Libertango », déséquilibré mais aussi libéré de ses carcans tubesques par de subtiles modifications rythmiques ouvrant des voies inédites pour l’improvisation, qui se fait ici collective. L’amertume mélancolique du bandonéon donne une saveur douce-amère à l’ensemble et incite les autres instrumentistes à s’épancher dans ce blues argentin globalisé qu’est le tango. Envolées de piano, dont les cordes sont parfois frappées, vibrations fiévreuses du Fender Rhodes, folles échappées du violon, saturation de la guitare et puissance vibratoire de la contrebasse répondent aux sollicitations sensibles de la lideuse. La virtuosité assumée de cette dernière (plus de vingt ans sur son instrument) n’obère pas le talent de ses compagnons d’album (elle a d’ailleurs convié l’ex-pianiste de Piazzolla sur le disque, ainsi que Médéric Collignon au bugle sur un titre).

Une impression de bricolage en atelier émane de l’ensemble des plages, et c’est heureux : le répertoire fait l’objet d’expérimentations qui posent plus de questions qu’elles n’apportent de réponses définitives, cherchant les ressorts de la « mécanique secrète » de cette musique, sans prétendre à les trouver. Pas étonnant quand on sait que les arrangements sont co-écrits avec Bernard Cavanna, responsable de la classe de bandonéon au conservatoire de Gennevilliers (une rareté européenne qu’il convient de souligner). Cet atelier, qui plus est, reste grandement à l’écoute de son environnement, avec l’intégration bienvenue de sons extérieurs à la musique (effets saisissants de bruits de pas et d’aboiements sur « Buenos Aires Hora Cero » notamment). Par cette posture modeste mais diablement efficace, Louise Jallu déploie une direction artistique ouverte aux vents d’un tango qu’on voudrait éternel.

par Laurent Dussutour // Publié le 28 février 2021
P.-S. :

Avec : Gustavo Beytelmann (p, elp), Médéric Collignon (bgl), Gino Favotti (sons additionnels)