Chronique

Machaut

Quentin Biardeau (ts, arr, comp, dir. art.) ; Simon Couratier (bar) ; Francis Lecointe (as, bar) ; Gabriel Lemaire (as, bar)

Label / Distribution : Ayler Records/Orkhestra

Quand on a aimé un roman, on a toujours un peu de crainte en allant voir sa transposition au cinéma. De la même façon, j’ai ouvert cet album avec le souvenir encore très vif de l’enregistrement de cet album dans un lieu, l’abbaye de Noirlac, qui prenait une part active à la formation du son, et je redoutais un peu de ne pas en retrouver totalement la magie.

Bien souvent, en effet, les enregistrements peinent à transmettre toute la richesse d’une musique. Il n’en est rien ici : l’ingénieure du son Céline Grangey - auteure de la prise de son, du mixage et du mastering - réussit le tour de force de restituer très fidèlement à la fois la réverbération singulière et l’atmosphère hors du temps qui ont présidé aux sessions de mai 2015. C’est presque comme si vous y étiez, il ne manque que la vue.

Attention : pour goûter pleinement la richesse sonore de cet album, il est indispensable de l’écouter fort. Très fort, presque trop. Et de prendre le temps de se consacrer à lui pleinement : prenez rendez-vous avec lui, seul à seul ou en bonne compagnie, c’est-à-dire avec des gens qui savent ce qu’écouter veut dire. Prévoyez de n’avoir rien d’autre à faire pendant cinquante minutes : c’est la moindre des choses. Éteignez votre téléphone. Mettez-vous peut-être dans la position de celui qu’on distingue à la charnière de l’image intérieure de la pochette.

Vous l’aurez remarqué : l’album n’a pas de titre. C’est qu’il s’agit du travail fondateur du Quatuor Machaut, un travail d’une ébouriffante liberté autour d’une œuvre vieille de 700 ans, la Messe de Nostre-Dame de leur compositeur éponyme, Guillaume de Machaut. Trois extraits de la Messe, arrangés et détournés par Quentin Biardeau, quatre compositions de celui-ci. Si pour le Sanctus il s’est limité à arranger la pièce pour quatre saxophones, le Kyrie et le Gloria font l’objet d’une véritable recomposition autour des thèmes initiaux, une sorte de puzzle où les harmonies médiévales tutoient le XXIe siècle sans césure ni coutures apparentes. On est là en pleine résonance avec le concept d’harmonie discordante cher aux artistes médiévaux : l’idée que l’harmonie provient, non de l’homogénéité, mais paradoxalement des conflits entre les quatre éléments. Quatre éléments, vous me suivez ?

Une démarche d’une audace assez folle et d’une liberté totale, et un coup de maître. La musique du quatuor Machaut ne ressemble à aucune autre, et elle est d’une beauté saisissante. Un quatuor de saxophones qui ne sonne pas comme un quatuor de saxophones, me disait un ami saxophoniste. C’est exactement cela : ce quatuor-là est un instrument, pas quatre. Et quel instrument.