Un moral d’Assier !
Ils sont têtus, les Gaulois du village d’Assier. La preuve : ils ont toujours un festival. trois jours où ça bouillonne, où ça cherche, où ça trouve, où ça se plante – seuls ceux qui ne font rien ne se trompent pas -, où ça rit, bref : où ça vit très fort.
Ils sont têtus, les Gaulois du village d’Assier. La preuve : ils ont toujours une gare. Et ils ont toujours un festival. Pas un attrape-touristes en forme de catalogue de stars mondiales ou de ringards télévisés, non : un festival. Trois jours où ça bouillonne, où ça cherche, où ça trouve, où ça se plante – seuls ceux qui ne font rien ne se trompent pas -, où ça rit, bref : où ça vit très fort. Et pas seulement trois jours : à Assier, on pense musique toute l’année.
C’est tellement plein de vie, Assier, que ça déborde du strict cadre musical. Qu’il y ait des installations de plasticiens, des performances de comédiens, des danseurs, rien d’étonnant dans un festival de l’AFIJMA. Ce qui l’est plus, c’est la capoeira. Quoi ? Un art martial dans un festival de musique ? Eh bien oui : la capoeira c’est aussi de la musique. Pour passer ses grades en capoeira, il ne suffit pas d’être acrobate. Il faut aussi apprendre des chansons ! Le capoeiriste sait chanter, jouer du tambour et du berimbau. La musique et la lutte liées… pas étonnant que ça résonne à Assier ! L’engagement artistique est bien un sport de combat.
L’air de rien, « Assier dans tous ses états » est en train de résoudre la quadrature du cercle : comment s’intégrer dans la vie locale tout en conservant une affiche audacieuse ? Attirer un public de voisins pour une improvisation vocale a capella ou un big band pratiquant le soundpainting, voilà quelque chose d’assez inédit. Cela s’appelle diffuser la création artistique. Au fond, c’est bien ce que l’on attend d’un festival innovant !
- Capoeira
Comment font-ils alors, les rêveurs d’Assier ? Ils rêvent, mais gardent les deux pieds bien posés sur le sol lotois. La résidence du Lilliput Orkestra et son travail avec les enfants des écoles, c’était ça : des artistes innovants, intelligents et passionnés ont offert aux enfants des écoles maternelles et primaires publiques une véritable initiation au geste musical et à la démarche artistique. Les enfants ont amené leurs parents au concert de leurs amis musiciens. Le bouche à oreille a fait le reste.
Le choix d’une programmation qui mêle innovation et musiques traditionnelles, groupes locaux et musiciens d’envergure nationale (d’ailleurs, l’un n’empêche pas l’autre !), spectacles et stages (fanfare, danse, soundpainting…), c’est un peu ça aussi. A vouloir faire trop pointu, on risque d’effaroucher les non-initiés. A se vouloir trop consensuel, on se noie dans la soupe et on éloigne les publics exigeants. L’équilibre en la matière, ce n’est pas un point fixe : c’est une oscillation entre deux déséquilibres. Assier semble avoir trouvé le bon balancement… comme en capoeira.
- Les galets de Genouillac
Après leur roda sous la halle en guise d’ouverture, les capoeiristes vous embarquent en procession vers le haut lieu du festival : le château Renaissance (ou plus exactement ce qu’il en reste, car il fut voué à la démolition au début du XVIIIème siècle) construit par Galiot de Genouillac, chef des armées de François 1er. Le personnage ponctue, cette année, tous les actes du festival. Les « galets de Genouillac » balisent le village, signalent les lieux de spectacles ou des installations bizarres qui invitent à la méditation ou au fou-rire. Galiot ouvre lui-même chaque soirée par une harangue déjantée. « Y avait un château dans le coin… Y a plus de coins dans mon château ! » Le soudard « bling-bling » du XVIème est promu saint patron parodique d’un festival qui lui aurait sans doute souverainement déplu. Sic transit…
- Anthurus d’Archer © acidezen
Côté concerts, cette édition 2008 nous réservait de très belles surprises. Première d’entre elles : Anthurus d’Archer, en concert le vendredi soir dans la cour du château. Un quintet azimuté qui ne recule devant rien, du moment que ça sonne. Sa musique fait souvent penser à Frank Zappa mais ce n’est pas du sous-Zappa. Ses membres zappent – ça oui ! - toutes les deux secondes dans des mises en place ciselées à la gouge, jonglent avec les bidules électroniques, citent dans une même respiration Fauré et Iron Maiden, Le Sacre du printemps et King Crimson, Jimi et Django… et ne se prennent pas au sérieux le temps d’une triple croche, même si ce sont de très sérieux musiciens. Le jeu de scène et de personnages – Hugues Andriot (guitare, samples) l’excité logorrhéique, Patrick Le Mortellec (flûtes) le séminariste lunaire, Matthieu Metzger (saxophones) le pince-sans-rire – intensifie la jubilation ravageuse qui émane du groupe et qui vous contamine rapidement. Anthurus a obtenu début juillet le deuxième prix de groupe du concours de Jazz à La Défense ; Matthieu Metzger venait d’être pressenti pour l’ONJ d’Yvinec… quelque chose nous dit qu’on n’a pas fini d’entendre parler de ces jeunes gens qui ont fait un tabac à Assier.
- Emilie Lesbros
Le lendemain, ceux qui avaient survécu aux fumées méphitiques de la forge de Galiot (une performance aux émanations mal contrôlées !) se sont vu offrir deux découvertes d’un tout autre genre. Les élèves du stage de soundpainting d’Etienne Rolin jouant dans une installation du sculpteur Patrick Lainville, et une improvisation en solo d’Emilie Lesbros. Jeune vocaliste entrée au Conservatoire un peu par hasard, à la suite d’un pari avec une amie (!) et admise à la fois en classique et en jazz, elle a fait quelques années plus tard la rencontre déterminante de Barre Phillips. Emilie Lesbros joue avec les sons et chante sans paroles. Elle peut aussi bien développer une idée abstraite (« harmoniques ») que pasticher le bavardage d’un professeur russe de chant lyrique, répondre à un chien qui aboie au loin ou à la cloche de l’église voisine, chercher des sons dans une pièce de métal forgée par le sculpteur et leur marier sa voix. Dans tout cela, une extrême sensibilité et de la poésie, mais aussi un humour tout en légèreté et une bonne dose de talent !
- Grand Lilliput Orchestra © acidezen
Samedi soir, le GLE (prononcez « gleu ») jouait au Château. Le Grand Lilliput Ensemble, issu de la réunion du Grand Chahut, collectif de musiques improvisées basé à Crest, et du Lilliput Orkestra, quartette jazz toulousain. Entrée des artistes en ombres chinoises contre le mur du château, Laurent Rochelle ouvrant la marche comme un joueur de flûte de Hamelin, puis les dix musiciens investissant la scène. Cet improbable little big band sans pupitres joue une musique où les compositions de Laurent Rochelle se mêlent à de larges plages improvisées faisant, pour certaines, appel au soundpainting (une technique décidément omniprésente cette année à Assier). C’est foisonnant et riche : changements d’appuis rythmiques, mesures asymétriques, décrochages harmoniques… mais le groove reste un maître mot. L’instrumentation est tout sauf conventionnelle : le hautbois, les clarinettes donnent parfois dans la musique de chambre, mais tout peut basculer sans préavis vers le chaos organisé d’une impro collective ; les instrumentistes interagissent constamment et leur plaisir à jouer ensemble est palpable. Une musique qui ne se prend pas la tête mais qui en a là-dedans…
Enfin, mention spéciale aux chanteurs de Tres a cantar entendus dimanche après-midi au verger Martigoutte, pour l’originalité de leurs interprétations de morceaux traditionnels, pour leur engagement musical et humain, pour leurs qualités rythmiques, harmoniques et scéniques. Un trio franc comme l’art, sans mièvrerie et… sans OGM.
Pour tout vous dire d’Assier, il faudrait aussi vous parler des concerts de groupes rock locaux, le soir au « Pavillon de Galiot » et des soirées qui se terminent au petit matin ; des lectures et des autres concerts du verger Martigoutte ; des repas sous les arbres rassemblant musiciens, bénévoles et public au coude à coude ; du pique-nique musical à la source, le dimanche midi ; du petit déjeuner aux tripoux près des étangs ; des paysages du causse et de l’odeur de l’herbe.
Il ne « faudrait » pas : il faut parler de l’engagement des dizaines de bénévoles qui travaillent d’arrache-pied, pas pour gagner plus, mais pour l’amour de la musique. Et pour bien finir, il faut absolument souligner ceci : si en 2007 Assier dans tous ses états s’efforçait de rester en vie, l’édition 2008 avait tout d’une renaissance. Peut-être grâce à l’ombre de Galiot, après tout : grâces lui soient rendues !
- Le verger