Chronique

Mauro Gargano

Nuages

Mauro Gargano (b), Matteo Pastorino (cl), Giovanni Ceccarelli (p), Patrick Goraguer (dm)

Label / Distribution : Diggin music productions

Le contrebassiste Mauro Gargano nous invite à contempler les nuages qui parsèment les cieux de son nouvel album. On sent sa personnalité poétique se fondre dans son instrument, dont il maîtrise la moindre vibration, dédaignant toute virtuosité pour l’émotion. Son goût pour les valeurs longues, sublimes supports, nous emmène dans la spiritualité dès le premier thème. Sa délicatesse mélodique, qu’il déploie avec une élégance sans pareille au détour de l’évocation d’un souvenir d’enfance (« Il papunno », monument d’introspection), n’oblitère pas son sens du blues, dans une ligne de basse ou au détour d’un solo d’anthologie(« L’Isola di Arturo »), ni même les moments d’expérimentation où il joue au-dessus du chevalet (« Nuvole »).
Des graves aux aigus, sa contrebasse se délie dans des nuages d’harmoniques, pourvoyant des ondes rythmiques subtilement maîtrisées. Rien ne lui plaît plus que de partager des émotions, d’abord avec ses compères d’album, pour entrer en résonance avec la vie sentimentale de l’auditeur.trice.

C’est qu’avec un batteur comme Patrick Goraguer, les cieux peuvent bien danser : le groupe peut compter sur lui pour déployer des récits aériens avec une musicalité rare sur l’instrument. Le pianiste, Giovanni Ceccarelli, n’aime rien tant qu’à dialoguer, en particulier avec le précédent, axe rare plein de promesses émotionnelles. C’est aux clarinettes (la « normale » et la basse) de Matteo Pastorini que revient la part d’italianité : réminiscence des harmonies du Sud de la Botte, préciosité classique… sans ignorer la rage contenue qui fait vibrer l’instrument d’une énergie volcanique, déployant un blues péninsulaire.

Les anches douces se combinent langoureusement avec la contrebasse féline du leader, formant l’autre axe musical du quartet (riff réitéré et mouvant sur l’enlevé « Danza della Serra », introduction et coda somptueuses de « Venere Allo Specchio »…).
L’ombre portée de Pasolini se déploie sur l’album : le poète cinéaste se voit rendre un bel hommage dans une marche délicate, issue d’une séquence qu’il dirigea en 1968 pour le film choral « Caprice à l’italienne ». Le leader n’oublie pas le communiste authentique, chantre des bas-fonds romains, où il fut assassiné pourtant. C’est « Pasolini : nubi di periferia », une ballade funèbre qui ne tombe pourtant pas dans le macabre et où les jeux de déconstruction et reconstruction font merveille, grâce à une batterie paradoxalement en joie.
Un autre géant de la poésie est convié : Django (le nom de famille n’est pas mentionné) avec, bien sûr, son « Nuages », dans une version clarinette/contrebasse où les deux semblent danser dans les cieux. Un disque si précieux qu’on se dit que, comme pour les nuages, on ne peut en dessiner vraiment les contours. Est-il meilleure définition de l’art ?