Chronique

Michel Graillier

Fairly

Michel Graillier : p ; Patrick Fournier : acc.

Label / Distribution : Le Chant du Monde

Dès les premières notes de « Portrait in Black » (à comparer avec la version de Martial Solal avec Eric Le Lann), on est transporté sur une autre planète. Non point que nos maux et nos peurs disparaissent. Mais ils y sont sublimés par la beauté de cette musique. Ce solo de piano met une bonne claque aux virtuoses inutiles qui croient qu’il suffit d’enfiler des perles pour créer un bijou, d’ajouter des sons pour produire du sens.

Michel Graillier joue ici des standards de jazz, des compositions personnelles, de la chanson française, du funk, bref, tout ce qui lui chante et qu’il fait si bien chanter. Les versions d’« All is Fair in Love » et de « Happier in the Morning Sun » de Stevie Wonder révèlent la lutte d’un homme avec ses démons intérieurs, comme Samson François jouant Chopin, l’élévation par la musique au-delà de la souffrance dans un monde de pureté et de beauté là où les frères Stéphane et Lionel Belmondo rendaient, avec Wonderland, une copie de bons élèves, sage et lisse.

Cette réédition d’un album paru en 1991 contient en outre sept inédits, dont le dernier morceau avec l’accordéoniste Patrick Fournier. Le « Gottingen » de Barbara ne dure qu’1 mn 30, mais c’est un pur moment de grâce, de finesse, qui vous déchire l’âme jusqu’au tréfonds. Le son du deuxième CD est certes moins propre que celui du premier, mais l’émotion n’en est que plus palpable.

Outre cette déchirure, cette sensibilité à fleur de peau, la musique de Michel Graillier dégage aussi de la chaleur, de la virilité, de la force. Bref, toute la vie d’un homme passe dans son piano. Profitons donc de ce calme abandon, de ces instants de grâce dans un monde glacial. Ainsi « My Foolish Heart » est aussi pure et bouleversante que chez Stan Getz. C’est dire l’élévation de cette musique.

La très belle pochette de Martin Lartigue nous plonge dans l’ambiance bleue de cet album avant même qu’on ne l’écoute. Il ne reste plus qu’à espérer un second miracle. La découverte d’autres morceaux enregistrés au cours de cette séance par Michel Graillier avec Patrick Fournier. En attendant, réjouissons nous de vivre dans un monde où il est encore possible d’écouter Michel Graillier.