Chronique

Magma

BBC 1974 - Londres

Klaus Blasquiz (voc, perc), Claude Olmos (g), Michel Graillier (Rhodes, kb), Gérard Bikialo (Rhodes), Jannick Top (elb), Christian Vander (dms, voc).

Label / Distribution : Seventh Records

Déjà mise au jour il y a une vingtaine d’années, cette archive de Magma fait l’objet d’une réédition bienvenue. Un digipack pour remplacer le vilain boîtier cristal (« le plastique, c’est… pas fantastique ! »), un visuel plus sobre et un enregistrement qui bénéficie d’un nouveau mastering. Captée le 14 mars 1974 dans les studios londoniens de la BBC, cette session est intéressante à plus d’un titre. À la fois parce que BBC 1974 montre un groupe en effervescence créative et parce que la formation était (et demeure) à cette époque l’une des plus impressionnantes de toute son histoire.

Le processus de composition chez Christian Vander est assez difficile à expliquer. Il aime à dire qu’il n’est que le récepteur de sa musique et qu’à ce titre, elle peut venir à lui de manière désordonnée. Il lui faut ensuite reconstituer un grand puzzle dont il ignore lui-même s’il possède toutes les pièces, trouver les enchaînements logiques et donner une cohérence à un ensemble dont les contours ont fini par se préciser. L’œuvre de Magma s’articule principalement autour de deux trilogies. La première, Theusz Hamtaahk, comporte la composition homonyme (dont on trouve une version sur BBC 1974), Wurdah Ïtah et Mekanïk Destruktïw Kommandöh. Ce troisième volet avait été publié depuis quelques mois en ce printemps 1974, assurant au groupe une renommée internationale, sous l’impulsion de son imprésario fantasque Giorgio Gomelsky. Mais il est important de préciser par ailleurs qu’au début de l’année 1973, Vander avait déjà élaboré en grande partie K.A I-II-III, premier mouvement d’une autre trilogie dont Köhntarkösz (l’autre pièce de ce live en studio) est le cœur. Difficile à suivre ? Oui, parce que tout ceci était imbriqué, restant à mettre en ordre. Si bien qu’en ce 14 mars 1974, ce qui se joue n’est en rien définitif mais constitue un moment-clé, confirmé par un autre enregistrement, trois jours plus tard, au Marquee de Londres [1]. Ainsi, on peut entendre, au beau milieu de Köhntarkösz, un passage de K.A connu sous l’appellation « Om Zanka ». On comprend bien que la matière musicale de Magma, mouvante, prend forme, avec son propre timing, mais non sans une réelle certitude quant à son achèvement, quitte à exiger des kobaïens un peu de patience. Ainsi, K.A ne sera enregistré que beaucoup plus tard… en 2004, tandis que la publication du troisième volet, Ëmëhntëhtt-Ré, interviendra cinq ans plus tard !

Un moment rare pour une formation qui ne l’était pas moins. BBC 1974 vaut tout autant pour les forces en présence à ce moment de l’histoire de Magma que pour sa singularité compositionnelle. D’une intensité peu commune, l’association télépathique de Christian Vander et Jannick Top est ici saisie dans toute sa splendeur. Ces deux-là se comprenaient naturellement et insufflaient au groupe une puissance oscillant entre violence et exaltation. Et tandis que cette paire tellurique faisait vibrer le groupe, d’autres solistes s’envolaient pour laisser libre cours au chant de leurs instruments. Comment, par exemple, ne pas être emporté par le lyrisme brûlant du Fender Rhodes de Michel Graillier et le niveau de sa complicité avec le batteur, dont il restera très proche jusqu’à la fin de sa vie ? C’est cela, aussi, que raconte ce disque : des histoires de vie, denses et rudes parfois, mais toujours pleinement habitées.

En avril 1974, Vander, Top, Klaus Blasquiz et Stella Vander enregistreront en quelques jours Wurdah Ïtah dont une première mouture sera utilisée comme bande originale d’un obscur et oubliable film d’Yvan Lagrange, Tristan et Iseult. D’abord publié sous le seul nom de Christian Vander, ce second volet de la première trilogie sera plus tard réédité comme faisant partie de la discographie de Magma. D’aucuns le considèrent d’ailleurs comme un coup parfait, témoignage d’une urgence créative parfaitement captée en studio.

Le mois suivant, en mai 1974, Magma enregistrera la version studio « définitive » de Köhntarkösz, publiant par la même occasion l’un de ses albums les plus fascinants et sans nul doute l’un des sommets de sa discographie. Le groupe partira ensuite en tournée, jusqu’à l’épuisement et sa dissolution à la fin de l’année, avant de renaître très vite sous d’autres couleurs, comme celles de la basse de Bernard Paganotti et du violon de Didier Lockwood, alors âgé de 19 ans seulement. Vander retrouvera Top à l’automne 1976 pour l’éphémère projet Vander-Top [2] et une série de concerts au Théâtre de la Renaissance à Paris qui sont restés gravés dans les mémoires. Par la suite, les retrouvailles des deux musiciens ne seront plus qu’épisodiques, mais toujours marquées d’un profond respect et d’une admiration réciproques. Autant dire que les témoignages de leur « gémellité » scénique n’en sont que plus précieux. BBC 1974, dont la qualité sonore est par ailleurs irréprochable, en fait partie, assurément.

par Denis Desassis // Publié le 1er mars 2020

[1Récemment publié sous la forme d’un double CD chez Seventh Records.

[2Dont faisaient partie également Didier Lockwood, Michel Graillier, Klaus Blasquiz et Gabriel Federow.