Portrait

Mike Nock, légende du jazz des antipodes

À 82 ans, le pianiste néo-zélandais est encore actif et célèbre la sortie d’un nouvel album solo.


Mike Nock @ Avec l’aimable autorisation de Mike Nock

Bien que vivant à Sydney, Mike Nock vient régulièrement jouer à Melbourne. Le 19 mai, il se produit au JazzLab, un des principaux clubs de la ville, en compagnie du guitariste Stephen Magnusson et du saxophoniste Julien Wilson. L’occasion de faire le point sur une longue et sinueuse carrière.

En 1962, Mike Nock obtient une bourse pour étudier au Berklee College of Music à Boston qui compte déjà un département de jazz. Le brillant trompettiste Herb Pomeroy fait d’ailleurs partie du corps professoral. Et parmi les camarades de classe du Néo-Zélandais, on dénombre un autre trompettiste, le Bosniaque Duško Gojković, le saxophoniste japonais Sadao Watanabe ou le souffleur suisse Heinz Bigler. Il y côtoie également Keith Jarrett. Mais au bout d’un an, il décide d’abandonner et de lancer sa carrière sans plus tarder. Il faut noter qu’il avait déjà fait sensation lors de son arrivée en Australie en 1958.

En ce début des années 60, la scène de Boston est riche, avec des pointures comme Tony Williams, encore adolescent, ou Sam Rivers. Au Connolly’s Stardust Room, dans le quartier noir de la ville, le pianiste entend Eric Dolphy, Herbie Hancock. Un autre club historique, Lennie’s On The Turnpike, l’engage comme pianiste « maison » aux côtés du contrebassiste Kent Carter et du batteur Alan Dawson. « Vous parlez d’un drôle de groupe, se souvient-il. Mais pendant deux ans, j’ai pu jouer avec le gratin du jazz, des musiciens tels que Phil Woods ou Benny Golson. Il est impossible d’acquérir une telle expérience aujourd’hui. »

Mike Nock @ Avec l’aimable autorisation de Mike Nock

Mike Nock accède à la reconnaissance lorsque le saxophoniste et multi-instrumentiste Yusef Lateef le recrute. On peut d’ailleurs l’entendre sur un des plus célèbres enregistrements de ce dernier, Live at Pep’s (Impulse). « Hal Galper devait être l’élu, mais il était en Europe, confie le pianiste. Il y avait une rivalité entre nous deux qui, selon moi, était bénéfique. » Il restera avec Lateef de 1963 à 1965.

Ensuite, ce sont des occasions manquées. Il rencontre Miles Davis dont il espère un coup de fil providentiel qui ne viendra jamais. Ensuite, c’est au tour d’Art Blakey. « Je devais faire partie du groupe que Keith Jarrett, qui ne convenait absolument pas, venait de quitter et qui comptait alors le trompettiste Chuck Mangione, raconte le pianiste. On devait commencer la tournée à Pep’s, justement. Et voilà que j’attrape une hépatite. Je me retrouve à l’hôpital et ils trouvent Chick Corea pour me remplacer. » Enfin, Sonny Rollins lui propose de le rejoindre. Mais le saxophoniste est dans sa période « calypso » qui n’enthousiasme guère le pianiste. « À l’époque, j’étais dans un groupe avec Michael Brecker, George Mraz et Al Foster ; il n’y a pas photo », dit-il. Et quand il le rappellera quelques années plus tard, il doit refuser car il s’est déjà engagé auprès du saxophoniste alto Richie Cole pour une tournée.

Mike Nock @ Avec l’aimable autorisation de Mike Nock

En novembre 1981, Mike Nock enregistre à Oslo un disque pour ECM, Ondas. Ses deux acolytes, le contrebassiste Eddie Gomez et le batteur Jon Christensen, sont des musiciens avec lesquels il n’a jamais joué. Et le résultat final ne correspond pas à ce qu’il envisageait en raison du travail de post-production entrepris par Manfred Eicher, le patron du label. « Cela ne m’a pas trop contrarié car après tout c’est Manfred qui a tout financé », avoue le pianiste. Ondas lui permet néanmoins de toucher un public plus large et trouve même un écho en Australie. L’an dernier, le Festival de jazz de Melbourne l’a convié à jouer l’album dans sa totalité.

Cette collaboration avec ECM restera sans lendemain et Mike Nock ne peut se l’expliquer. Avec la montée du reaganisme aux États-Unis qui l’incommode, il décide de repartir aux antipodes en 1985. « Je ne regrette absolument pas mes années passées en Amérique, car j’ai accompagné des artistes fantastiques tels que Dionne Warwick ou John Handy, déclare-t-il. Mais je n’avais aucune idée de ce que j’allais faire. Ouvrir un restaurant et vendre des hamburgers ? [rires] Jouer en solo dans des restaurants pour des clients qui n’écoutent pas ? Ce n’est pas mon genre ». La chance finit par lui sourire et sa carrière prend une autre tournure : l’enseignement. On lui propose un poste au sein du Queensland Conservatorium à Brisbane. Plus tard, il poursuit sa carrière dans le système éducatif en rejoignant le corps enseignant du N.S.W. Conservatorium of Music à Sydney.

En 1996, il ajoute une corde à son arc en tant que directeur artistique d’une maison de disques, Naxos Jazz. Il rencontre par hasard le propriétaire du label Naxos, Klaus Heymann, qui souhaite se lancer dans le jazz et lui demande conseil. Une offre d’emploi finit par se matérialiser. Ce poste lui permet en outre d’enregistrer avec deux proches collaborateurs, le joueur d’anches Marty Ehrlich et la batteur Pheeroan Aklaff, le pianiste n’ayant jamais rompu ses liens avec les États-Unis. Mais Naxos Jazz arrête les frais en 2001. « Klaus voulait sortir deux disques par mois, c’était trop ambitieux, dit Nock. Et l’intégrité n’est pas toujours synonyme de succès. »

Mike Nock @ Avec l’aimable autorisation de Mike Nock

Depuis, le pianiste se concentre sur ses activités musicales. Il joue notamment avec des musiciens plus jeunes – parfois, la différence d’âge approche les 60 ans. « Les vieux musiciens comme moi ont leurs habitudes ; je préfère jouer avec des artistes qui ont une plus grande ouverture d’esprit et partagent une vision musicale, explique-t-il. À mon âge, avoir la possibilité d’explorer ma musique avec des musiciens plus jeunes est extraordinaire. » On le retrouve notamment au sein du groupe This World avec Hamish Stuart à la batterie, Julien Wilson au saxophone et Jonathan Zwartz à la contrebasse.

En outre, juillet 2023 a vu la sortie d’un nouvel album solo, Hearing (ABC Jazz), qui met en scène un pianiste tout en finesse enregistré dans de remarquables conditions. Grâce à un de ses élèves, il passe quatre jours à enregistrer à son aise dans les studios d’ABC à Sydney. Les morceaux qu’il égrène mettent en avant son fin toucher et font surtout place à l’introspection. Les traits qui le distinguent sont encore présents : élégance, richesse mélodique ou lyrisme. Il revisite d’anciennes compositions (« Sunrise » ou « Waltz For My Lonely Years »), se livre à des ruminations au cours de courtes improvisations reflétant l’inspiration du moment ou reprend des morceaux écrits par des musiciens qui ont compté pour lui : « And In The Night Comes Rain » de Zwartz, « Spirit Song » du saxophoniste Bernie McGann, un autre géant du jazz australien, et le magnifique blues qui conclut l’album, « Windows of Arquez », signé Bryce Rohde, un pianiste oublié. Enfin, Nock présente une nouvelle composition, l’élégiaque « Vale John » dédié à son vieil ami John Pochée, batteur et autre légende locale, disparu en novembre 2022 quelques semaines avant l’enregistrement. Son ombre plane d’ailleurs sur l’ensemble des séances d’enregistrement de Hearing.

Malgré une carrière marquée par des hauts et des bas, Mike Nock ne prévoit pas de s’arrêter de sitôt et reste philosophe. « Quelles sont les alternatives ? Depuis que j’étais à San Francisco avec John Handy, je songe à arrêter la musique, déclare-t-il. Et bien que mon jeu ne soit plus au même niveau, la musique reste ma passion. J’ai la chance d’être considéré comme une figure emblématique de la scène australienne et d’avoir encore une plate-forme pour ma musique. »