Scènes

Elbjazz Hamburg : Jazz à vau-l’eau

Dans un cadre original, le festival Elbjazz à Hambourg monte en puissance.


Photo : Jens Schlenker

Pour sa 9e edition, ElbJazz a battu un record d’affluence. Le festival vaut le détour au moins pour le décor : trois scènes installées en plein air dans le port de Hambourg au milieu des conteneurs et des grues avec comme bases offshore l’extraordinaire Elbphilharmonie, l’église St.-Katharinen et un ex-chalutier est-allemand reconverti en club, le MS Stubnitz.

Si on peut reprocher à cette manifestation de présenter un peu trop de groupes qui n’ont rien à voir avec le jazz, les programmateurs ne cherchent pas du moins à racoler, car ils engagent en majorité des artistes méconnus et européens. Enfin, il faut noter l’excellente qualité du son pour les concerts en extérieur.

Photo : Christoph Eisenmenger

L’un des artistes les plus attendus était le pianiste allemand Michael Wollny et son trio avec le contrebassiste suisse Christian Weber et l’inamovible Eric Schaefer à la batterie. Sa manière de procéder reste inchangée en tissant de grands tableaux dans lesquels se mêlent différents morceaux, certains signés par le pianiste, d’autres reflétant son intérêt pour des univers musicaux tels que la pop ou la musique classique.

Ainsi, après une brève introduction digne de Cecil Taylor, le groupe entre dans le vif du sujet, avec l’inévitable « Wasted & Wanted » et son rythme rock immuable imprimé par Schaefer, avant de s’attaquer au « Big Louise » de Scott Walker qui bénéficie d’un traitement blues servi avec un nuage de boogie-woogie et de terminer par une séance d’improvisation libre qui, si on en doutait encore, confirme les qualités de ce combo tout-terrain.

La deuxième partie du concert inclut notamment « Ludus Tonalis » de Paul Hindemith. Là, on plonge d’abord dans le romantisme avant que l’influence de Joachim Kühn ne se fasse davantage sentir. Wollny joue à l’intérieur du piano pour broder une trame lunaire marquée par des sons lancinants et des crissements. La troisième et dernière partie n’apporte pas grand-chose de nouveau, mais se distingue par son final tonitruant et débridé durant lequel le pianiste évoque encore une fois Cecil Taylor martelant son clavier à l’aide des avant-bras.

Cette conclusion est symptomatique des quelques excès qu’affectionne Wollny et qui flirtent avec le cabotinage sans jamais y sombrer. L’écueil est évité notamment en raison de la présence surprenante de Weber, un praticien des musiques improvisées, qui fait que le leader dispose d’un improvisateur hors-pair capable d’éperonner ses partenaires, de les empêcher de tourner en rond ou de les faire revenir sur terre.

un alliage de mystère, de danger et de découverte

Dans la foulée de son enregistrement pour ECM sorti l’an dernier, Obsidian, le pianiste anglais Kit Downes se produit seul à l’orgue dans l’éblouissante grande salle de l’Elbphilharmonie où l’attend un instrument comprenant plus de 4 000 tuyaux fondus dans l’architecture de la pièce. À l’image de Wollny, Downes opte pour de longues plages associant plusieurs morceaux.

Photo : Claudia Höhne

Downes applique des principes issus du jazz pour une musique qui en est bien éloignée. Le premier tableau se compose de compositions tirées de l’album dont celui qui lui donne son titre. Downes fait un excellent usage de superpositions et de la polyphonie. Au travers de mouvements de flux et de reflux, il passe avec aisance de murmures sourds à de grandes envolées retentissantes, d’une ambiance euphorique à des climats menaçants. On est à des années lumières de la musique d’église ou de l’orgue Hammond.

Deux chansons folkloriques viennent ensuite souligner l’éclectisme de l’inspiration du pianiste et sa capacité à conférer une modernité à des formes traditionnelles. « Black is the Colour » est une chanson des Appalaches qui trouve ses origines dans mélodie venue d’Écosse. Downes, au travers de variations, met au goût du jour ce morceau aux sonorités celtes et médiévales. Quant à « Rachenitsa », une danse bulgare, il la transforme peu à peu en une véritable descente aux enfers.

Pour terminer, Downes associe une de ses compositions « Last Leviathan » à une reprise de « The Gift », un cantique écrit par son père, organiste/compositeur amateur. L’Anglais dévoile alors une autre facette, pleine de légèreté, et la contribution paternelle se révèle être une jolie ritournelle qui procure une sensation de dépaysement.

Downes reviendra pour un rappel. Ce sera « Ruth’s Song for the Sea », un alliage de mystère, de danger et de découverte avant l’impressionnante montée en puissance qui mettra un point d’orgue à un rare concert.