Portrait

Christoph Gallio fait marche arrière

Le saxophoniste suisse se remet en question.


Christoph Gallio @ Dawid Laskowski

Maître à penser de l’excellent trio Day & Taxi, Christoph Gallio revoit certaines conceptions concernant l’autoproduction et l’improvisation pure.

Lorsque Day & Taxi se forme en 1988, le groupe est un quartet avec deux saxophonistes, Christoph Gallio et le regretté Urs Blöchlinger disparu en 1995. Très rapidement, la formule avec deux souffleurs s’avère inopérante et la formation se transforme en trio. Le contrebassiste Lindsay L. Cooper joue un rôle clé à l’époque. « Il jouait du dixieland avec un groupe anglais et du free avec nous, se souvient le saxophoniste. À ce moment-là, j’ai commencé à composer car j’en avais marre de l’impro free. Je voulais fixer des choses. Avec Lindsay, j’ai appris à avoir un groove. »

Au fil du temps, Gallio affirme une prédilection pour les morceaux courts, certains faisant moins d’une minute. « J’aime les miniatures, confie-t-il. Parfois, on peut dire les choses en une seule phrase. Les chansons pop font trois minutes. Les paroles doivent tout dire en peu de temps. Cela représente un challenge qui me plaît. » La poésie fait aussi son apparition dans son travail d’écriture. Il en attribue la raison à Steve Lacy avec lequel il a étudié. Il avoue également qu’il lui est plus facile de composer lorsqu’il y a des paroles.

Au cours des trois dernières décennies, le trio a connu bien des remaniements. La formation actuelle comprend le contrebassiste Silvan Jeger qui déclame également les textes poétiques et le batteur américain Gerry Hemingway qui le pousse à développer ses compositions. « Gerry se plaint toujours ‘Mais fais des solos plus longs !’, dit-il. Et moi je lui réponds que je n’ai pas envie de répéter toujours la même chose. » Le nouvel album, Live in Baden, enregistré dans le fief du saxophoniste est une idée d’Hemingway. Les disques de Day & Taxi en concert sont rares et, de surcroît, celui-ci n’offre aucune nouvelle composition. « Gerry voulait que les gens voient comment est le groupe en concert, déclare Gallio. En studio, c’est plus artistique. Vous vous sentez comme un peintre. Vous choisissez les meilleurs moments, les meilleurs solos. Avec le live, vous ne pouvez rien changer. »

Christoph Gallio, Silvan Jeger et Gerry Hemingwau @ Bruno Seitz

En 1986, lorsque le saxophoniste Christoph Gallio lance son propre label, Percaso (par hasard en italien), il est en avance sur son temps. Alors, pourquoi ce nouvel album sort-il chez Clean Feed, la maison de disques portugaise ? « Je suis fatigué, je suis plus vieux et j’en ai marre de tout faire tout seul, répond-il. Mes contacts sont toujours les mêmes, je suis dans une bulle. Clean Feed est plus connu, et j’aurais peut-être une meilleure réception, plus de chroniques. On va voir. » À l’origine, la décision de s’autoproduire s’explique en partie parce qu’il trouve les pochettes des disques de jazz plutôt hideuses. Son épouse Anne Hoffmann étant graphiste, c’est elle qui s’occupera du design.

Récemment, Gallio a commencé également à collaborer avec Werner X. Uehlinger, le patron de Hat Hut Records, qui a notamment sorti en 2022 Unison Polyphony, le duo réalisé en compagnie du clarinettiste Markus Eichenberger. Il négocie actuellement l’éventuelle parution d’un disque en concert au Café Oto de Londres avec le batteur Mark Sanders et le contrebassiste Dominic Lash. Là encore, le saxophoniste fait marche arrière. Lui qui dans les années 90 avait tourné le dos à l’improvisation pure s’y remet. Un séjour de six mois à Londres financé par une bourse cantonale en est responsable. « Là-bas, je suis retombé dans l’impro free et je n’ai fait rien d’autre », souligne-t-il.

Dans la capitale britannique, Gallio est impressionné par l’excellence des musiciens du cru et la vie qu’ils mènent. « J’ai été fasciné car ils jouent vraiment très bien, avoue-t-il. Si vous jouez à Londres, vous ne vous faites vraiment pas de fric. C’est terrible. Certains musiciens anglais font une heure de voiture pour jouer devant 10 ou 15 personnes. L’argent n’est pas la motivation et c’est à mon avis la raison pour laquelle ils sont aussi forts. Cela dit, même en Suisse, il n’est pas facile de vivre de cette musique. »