Lisa Mezzacappa : le pouvoir des images
La contrebassiste californienne Lisa Mezzacappa de passage à Chicago.
La contrebassiste Lisa Mezzacappa est un pilier de la scène de San Francisco, autant comme musicienne que comme militante, cherchant à donner au jazz et aux musiques improvisées le plus de visibilité possible. Du 25 au 27 mars, elle a effectué un arrêt à Chicago où elle s’est produite à trois reprises dans des situations bien distinctes.
Tout ne commence pas sous les meilleurs auspices, son instrument ayant subi des dommages durant le trajet depuis New York. En conséquence, Lisa Mezzacappa doit emprunter une « grand-mère » auprès d’un collègue, en l’occurrence Anton Hatwich. Pour le premier soir, elle joue à l’Experimental Sound Studio, l’occasion surtout de présenter, entre autres, sa propre musique en solo, en duo ou en quartette, avec le batteur Jason Levis, lui aussi de San Francisco, et qui a décidé de faire le déplacement, ainsi que Josh Berman au cornet et Jason Stein à la clarinette basse.
Outre ses compositions, elle donne sa version de « I’ll Be Right Here Waiting » du batteur Steve McCall, un des fondateurs de l’Association for the Advancement of Creative Musicians (AACM), une sorte d’hommage à la ville où elle se trouve. Privilégiant l’abstraction, elle alterne longues notes et coups vifs d’archet et utilise des techniques non orthodoxes, parfois jouant simultanément de l’archet et des cordes pincées au niveau du manche, ou accrochant un diapason au niveau du chevalet pour donner des résonances métalliques. Cela dit, sa musique n’est pas totalement dépourvue de lyrisme et des bribes mélodiques apparaissent ici ou là.
Parmi les morceaux à retenir, une collaboration avec la vidéaste Janis Crystal Lipzin, « Found & Lost », car contrairement à de nombreuses expériences du genre, le film est accompagné d’une bande-son à laquelle vient se superposer le jeu de Mezzacappa. L’exercice est périlleux, mais fascinant. Autre moment insolite, une recréation de « Luminous Axis » du trompettiste Wadada Leo Smith, qui rassemble d’innombrables partitions graphiques ressemblant à des hiéroglyphes. Mezzacappa et le batteur Jason Levis ont chacun un iPad à partir duquel ils choisissent des « partitions » qui sont projetées sur un écran et censées provoquer l’inspiration chez les musiciens.
Les deux rencontres suivantes sont sans direction préétablie. La première est la plus réussie mais aussi la moins originale. Dans un lieu dénommé Elastic, elle associe Mezzacappa au batteur Mike Reed, au saxophoniste alto Nick Mazzarella et à Jason Stein. Mezzacappa fait preuve d’agilité et sait jouer de la dynamique. Dans leurs échanges, Stein est souvent le plus posé tandis que Mazzarella est le plus volubile. Reed se fait le moteur du groupe, s’assurant qu’il tourne à plein régime. Alternant courses effrénées et passages contemplatifs, l’ensemble fait preuve d’une solide cohésion et d’un bon esprit.
Le lendemain, Slate Arts and Performance - un espace géré par des artistes dont le jeune batteur Adam Shead - est le cadre du dernier concert qui réunit un groupe multigénérationnel. Les partenaires d’un soir s’appellent Peter Maunu à la guitare, à la mandoline et au violon, Keefe Jackson aux saxophones ténor et sopranino, et Julian Kirshner à la batterie. D’entrée les musiciens se cherchent ; ainsi Maunu qui rapidement laisse tomber la guitare pour passer à la mandoline avant de jeter son dévolu sur son violon qu’il ne quittera plus. Les improvisations prennent rapidement une couleur plus européenne dans la recherche sonore et le travail sur les textures. Kirshner, batteur dans la même lignée que Mike Reed, semble un peu perdu. Il a néanmoins la présence d’esprit de s’éclipser ou de se faire discret plutôt que de semer la zizanie.
Aux trois autres de proposer alors des moments d’intime fusion en donnant dans l’épure comme dans l’intensité.